Créée en 1994, la revue littéraire Munhakdongne (« Le village littéraire ») est devenue l’un des titres les plus influents de la littérature sud-coréenne. Elle a fêté indirectement son numéro 100, en 2014, en proposant à cent écrivains de définir la littérature.
Depuis la démocratisation du pays, qui a débuté en 1987, la littérature en Corée du Sud a développé des thématiques jusque-là négligées. Aux questions de lutte des classes, de nation et de travail succèdent celles de l’individualité, de l’intimité et du quotidien. Si cette évolution peut s’expliquer de plusieurs manières, une nouvelle génération de critiques y joue un rôle décisif. En fondant Munhakdongne en 1994, ils ouvrent la voie à la nouvelle génération d’écrivains coréens aujourd’hui connue internationalement (EunHee-kyung, Shin Kyung-sook, Kim Young-ha, Kim Yeon-su). Ainsi, dès sa fondation, cette jeune revue se distingue radicalement de ses consœurs, Changbi (Création et critique) et MunhakwaSahoe (Littérature et société). Elle met en lumière la littérarité des œuvres, au-delà des points de vue idéologiques et politiques. Seo Young-chae, l’un des principaux critiques littéraires et fondateurs de la revue, défend la définition d’une « littérature du citoyen » participant à l’espace public.
Le dossier « Critiques littéraires de Munhakdongne, rétrospectives et perspectives » marque l’anniversaire de la revue et réunit les textes de quatre critiques. Parmi eux, Seo Young-chae revient sur le projet originel du périodique et le pouvoir symbolique que celui-ci a acquis dans le champ littéraire. La fin de la dictature militaire ayant créé un appel d’air auquel les discours sur la littérature nationale et populaire ne pouvaient suffire, le « littérairisme » est venu succéder aux autres -ismes et a ainsi débordé la frontière du littéraire existant.
Ainsi, à l’occasion de son centième numéro, Munhakdongne a choisi de réaffirmer son identité et sa cohérence. L’épais volume compte, en plus des rubriques coutumières et de la longue liste des gagnants de prix littéraires, un dossier spécial dans lequel cent écrivains offrent leurs définitions de la littérature. Impressionnantes à première vue, la taille et l’ambition du dossier ne s’écartent pas des habitudes de la revue. Dans ce numéro, seuls quelques passages sont consacrés à l’anniversaire. Ils traitent principalement de la question des rapports entre la littérature et la période de transition démocratique et économique des années 1990. En effet, il s’agit d’un thème cher à la revue, qui avait déjà été longuement développé à la fin du millénaire. Revenir aux années 1990, c’est revenir au « point zéro » de Munhakdongne. Dans son obsession d’analyse de la transition politique qui marque sa naissance, la revue pose à nouveau, sans doute pour la centième fois, la question de son origine et de l’origine d’une littérature post-historique, dont le rapport à l’espace public est sans cesse reproblématisé.