Le 1er janvier 1922, la NRF publie son centième numéro. C’est un numéro sans : sans tambour ni trompette, sans texte fondamental.
Ça a commencé en février 1909. Parmi les fondateurs, on se rappelle Copeau et Schlumberger, mais surtout Gide. On le tient pour un « directeur de conscience ». Il a beaucoup d’adversaires et d’ennemis qui le considèrent comme le « diable dans le bénitier ». Les polémiques avec Massis ou Béraud ne seront pas les seules : la politique de la NRF consiste à « louer ou critiquer librement ce qui, chez un même écrivain, lui paraît tour à tour mériter la critique ou la louange ».
La NRF était avant tout un lieu pour les écrivains de talent : « La NRF n’a pas de patron à ménager. Elle fait profession de liberté. » Elle le fera très longtemps et accueillera presque tout ce que la littérature du temps publie d’important ou de novateur : les surréalistes et Claudel, Mauriac, Giono, Guilloux, Morand, mais aussi et surtout Jacques Rivière, Jean Paulhan, Groethuysen… Il serait plus simple de dire qui n’en est pas : Cocteau, que Copeau voulait dans la revue, et dont Gide ne voulait pas du tout.
Évidemment, une telle cohabitation, entre voisins parfois irascibles, ne se passe pas sans heurts. Des polémiques opposent Breton à Paulhan ou Caillois à Léautaud. Les conflits internes sont nombreux. La NRF passe à côté de grands textes, comme celui de Proust en 1913 et Voyage au bout de la nuit plus tard. Mais Valery Larbaud ne manque pas Joyce, Thibaudet fait partie des grands critiques du roman, et Jules Romains publie le premier article sur la psychanalyse dans ce numéro 100 que nous célébrons.
Dans ce même numéro, Maurice Boissard tient la chronique théâtre et la consacre, toute en digressions ou considérations virevoltantes, à une pièce de Sacha Guitry. Le jeune Maurice Nadeau (qui n’a pas écrit dans la NRF) ne le lit pas encore ; il ne manquera pas, bien plus tard, de rencontrer ce misanthrope dans son bureau du Mercure de France : Boissard est notamment l’auteur, sous le nom de Paul Léautaud, du Petit ami et d’Amours. Paul Morand publie « La nuit des six jours », nouvelle à paraitre dans Ouvert la nuit. Il y raconte les courses cyclistes du Vel d’hiv’. On est encore loin de 1942 et des échanges épistolaires avec Chardonne, qui ne cesseront pas avec la guerre, au contraire.
Parmi les noms que l’on trouve le plus souvent, celui de Benjamin Crémieux. Il fait partie, avec Larbaud et Groethuysen, des « sergents recruteurs » de la NRF. Plus discret que les écrivains cités plus haut, il sait attirer la nouveauté, et notamment Pirandello. Résistant sous l’Occupation, il rencontrera, à Buchenwald où il meurt, David Rousset.
On peut lire dans L’esprit NRF (1908-1940) de Pierre Hebey (Gallimard, 1990) un article anonyme sur le prix Goncourt attribué à Batouala, de l’inoubliable René Maran. Élu face à Chardonne et à Mac Orlan : le chroniqueur est loin d’être convaincu. D’autant que Mac Orlan est un auteur NRF… Rien de nouveau sous le soleil.
Retenons de cette revue ce qu’elle a eu de meilleur : les textes lucides de Julien Benda, la correspondance entre Antonin Artaud et Jacques Rivière, l’article de Proust sur le style de Flaubert et la note de Rivière sur le fameux Goncourt de 1919, les premiers textes de Michaux et Ponge.
La NRF se veut à l’écart de la politique mais elle ne manque pas les débats autour du pacifisme, du communisme, de la question de l’antisémitisme et de la nation.
Et puis il y a les surprises : Crevel ou Masson lus par Jouhandeau (demi-surprise), Maurice Sachs écrivant sur Thorez, « La môme Piaf » entendue par Fargue.
Enfin, dès 1934, la NRF « sent » ce qui monte de l’Est, avec, dans le « divers », un texte signé par un comité constitué d’intellectuels français et allemands, ces derniers réfugiés, pour une « Bibliothèque Allemande des Livres Brûlés ». Alfred Kantorowicz, ami de Heinrich Mann et de quelques autres, en est le correspondant. Nul doute qu’en 1940, quand Drieu la Rochelle prend la direction de la NRF et que la liste Otto est promulguée, son nom n’apparaitra plus. Ni bien d’autres avec le sien.