Gisèle Halimi, une vie militante

« J’aime les gens libres et ardents », confie Gisèle Halimi (1927-2020) dans Une farouche liberté, un livre autobiographique écrit avec la journaliste Annick Cojean. Il confirme, au cas où on en aurait douté, combien elle l’était elle-même et retrace les combats qu’elle mena tout au long d’une existence engagée.


Gisèle Halimi avec Annick Cojean, Une farouche liberté. Grasset, 153 p., 14,90 €


Les propos, retranscrits par Annick Cojean à partir d’entrevues tenues quelque temps avant le décès de Gisèle Halimi le 27 juillet dernier, n’apprennent rien de nouveau par rapport à ses précédents ouvrages, interventions écrites, télévisées ou radiophoniques, mais résument bien soixante-dix ans d’une existence militante.

Le portrait que Gisèle Halimi trace d’elle-même, via Annick Cojean, est assez convenu, mais nous aimons souvent nos héros tout d’une pièce, menant leur vie tambour battant, et cette image détourée convient, somme toute, au type de femme que semble avoir été Gisèle Halimi, une personnalité d’une intelligence et d’un courage exceptionnels tant dans sa vie personnelle que, s’il est toutefois possible de séparer les deux domaines, dans ses engagements publics – l’anticolonialisme et la cause des femmes. Elle défendit ainsi les militants du FLN pendant la guerre d’Algérie, obtint de nouveaux droits pour les femmes dans les années 1970, après des procès spectaculaires qui menèrent à la libéralisation de l’avortement et à la criminalisation du viol (jusqu’alors simplement considéré comme un délit). La sympathie que le lecteur ressent devant la détermination de l’avocate, de la militante, de la femme politique (elle fut députée apparentée socialiste de 1981 à 1984), lui permet d’oublier la dizaine de pages finales du livre où sonne un clairon assez banal d’appel à la prise de conscience et à la poursuite de la lutte. Gisèle Halimi méritait mieux, surtout en conclusion, Annick Cojean aurait dû s’en rendre compte.

Car quelle femme ! Que de ferveur morale et de ténacité ! Très tôt, elle comprit l’oppression et s’y opposa. Petite, elle trouvait déjà les inégalités entre garçons et filles « pas justes ! » et à dix ans elle entama une grève de la faim pour refuser les tâches domestiques qui lui étaient imposées dans sa famille – servir à table père et frères ou faire leurs lits. Ses parents, juifs tunisiens assez traditionalistes de La Goulette, cédèrent, affolés : « Ce fut au fond ma première victoire féministe ».

Gisèle Halimi avec Annick Cojean, Une farouche liberté

Gisèle Halimi © Richard Dumas

Sa deuxième victoire fut son refus, à seize ans, d’épouser un riche marchand d’huile de trente-cinq ans que sa mère avait choisi pour elle ; sa troisième, de faire ses études à Paris et de devenir avocate, en 1949. Bien d’autres victoires suivirent, sur le plan politique général cette fois-ci, car Gisèle Halimi avait décidé de mettre son métier au service de convictions de gauche, anticolonialistes et féministes. Une farouche liberté retrace donc les « grands » procès dans lesquels elle plaida et qui contribuèrent, pour certains, à changer les mentalités ou les lois : l’affaire Djamila Boupacha, en 1962, jeta la lumière sur les pratiques de torture de l’armée française ; le procès de Bobigny en 1972 (venant après le manifeste des 343, signé par Gisèle Halimi) et celui des violeurs de deux jeunes touristes belges en 1978 aidèrent au vote d’une législation en faveur de l’avortement, puis à l’établissement d’une nouvelle loi sur le viol.

Halimi parle avec flamme et précision de ces moments qui furent cruciaux pour elle comme pour toute la société française. De sa première très importante affaire, le procès de Boupacha, elle sait d’emblée qu’il est « un parfait condensé des combats qui [lui] importaient ». La jeune militante du FNL, torturée et violée en prison par des militaires français, réunissait en effet sur elle « la lutte contre la torture, la dénonciation du viol, le soutien de l’indépendance et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la solidarité avec les femmes engagées dans l’action publique et l’avenir de leur pays, la défense d’une certaine conception de la justice, et enfin mon féminisme. Tout était réuni ! ».

Une farouche liberté passe ensuite aux affrontements judiciaires de 1972 et 1978, mieux connus sans doute aujourd’hui en France que l’affaire Boupacha pour leur importance dans le combat féministe ; il évoque la création du mouvement Choisir, l’action en politique… Il égrène quelques anecdotes sur tel ou tel personnage public (Simone de Beauvoir, Valéry Giscard d’Estaing, Simone Veil, François Mitterrand). Il raconte les stratégies déployées, les échecs subis, les succès, rappelant, sans avoir à le dire, de bonnes vieilles vérités sur les luttes, à savoir que tout changement exige du sens politique, sans doute, mais surtout une intensité de l’engagement de chacun et une constance de son implication. Il fait prendre conscience de la force de caractère nécessaire pour ce type d’action car qui s’élève publiquement et avec ténacité contre les pouvoirs établis se voit, hors période de crise, ignoré, moqué ou disqualifié et, en période de crise, menacé dans sa vie même.

Le livre ne saurait, bien sûr, vu sa taille et son intention grand public, « tout » dire sur les combats de Gisèle Halimi, mais il surprend cependant par certains silences, comme par exemple celui sur son engagement en faveur de la cause palestinienne, dans le droit fil pourtant de ses préoccupations anticolonialistes. Gisèle Halimi fut en effet membre du collectif qui défendit Marwan Barghouti, dirigeant palestinien arrêté en 2001 et jugé en 2004 par un tribunal israélien. Elle fut aussi membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine en 2009 (comme elle avait été membre du même tribunal sur les crimes de guerre au Vietnam en 1966), et, en 2014, après l’offensive israélienne contre la population civile de la bande de Gaza et avant la réunion d’une commission spéciale du Tribunal Russell à ce sujet, elle continuait à défendre « la cause juste et qui sera reconnue comme telle dans l’histoire » du peuple palestinien. Dommage que sur ce sujet, qui n’est pourtant pas mineur, Annick Cojean n’ait pas jugé bon de poser à Gisèle Halimi quelques questions.

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