La publication sous forme de livre des entrées de Dire, ne pas dire, l’une des rubriques du site de l’Académie française, est une bonne nouvelle qui nous fournit une occasion de nous esbaudir en un temps où celles-ci se font rares.
Commission du dictionnaire et Service du dictionnaire de l’Académie française, Dire, ne pas dire. L’intégrale. Philippe Rey, 582 p., 20 €
Dès la préface, Hélène Carrère d’Encausse établit une distinction claire entre le rôle que joue le Dictionnaire de l’Académie française, qui « a pour tâche de donner les sens des mots dans toutes leurs extensions », et celui de Dire, ne pas dire, qui « recense les emplois fautifs, les usages ou extensions de sens abusifs, les contresens, les déformations de mots [… et constitue…] une sorte de leçon infiniment utile sur la manière de pratiquer le bon usage ». (En parlant de « déformations de mots », signalons à l’éditeur que « contrib utions », page 2 de ladite préface, s’écrit en un seul mot.)
Pour les plus jeunes de nos lecteurs, rappelons que l’Académie française est une institution fondée par Richelieu en 1634, accueillant des hommes de lettres, d’anciens présidents de la République qui rêvaient de l’être, et, quand elle ne peut pas faire autrement, des femmes. Rassurons tout de suite ceux que cette dernière libéralité aurait attristés : en près de quatre siècles, sur 732 pensionnaires, seules neuf femmes ont été élues, et il convient de rendre hommage aux académiciens qui ont lutté contre cette dérive laxiste de l’institution, à l’instar de Pierre Gaxotte, qui affirmait en 1980 : « Si on élisait une femme, on finirait par élire un nègre… » Quelle clairvoyance ! Car effectivement, trois ans après l’élection de Marguerite Yourcenar, Léopold Sédar Senghor a été admis dans l’établissement. Les gens ne peuvent pas dire qu’on ne les avait pas prévenus.
L’introduction de ces quelques corps étrangers sous la coupole du quai Conti constitue une exception, et c’est normal puisque, lorsqu’on devient Immortel, c’est pour la vie, on n’a pas le droit de démissionner, raison pour laquelle on ne peut accorder ce statut ni au tout-venant ni à la légère. D’ailleurs, l’Académie a tellement de mal à recruter de nouveaux collaborateurs qu’elle rechigne à se séparer des anciens, fussent-ils des Maurras ou des Pétain, comme l’explique Gisèle Sapiro dans La guerre des écrivains (Fayard, 1999).
Toujours est-il qu’aujourd’hui les quarante ne sont que trente-trois, avec 76 ans de moyenne d’âge, le plus jeune a 63 ans, le plus âgé 102, et, à l’instar de ce qui se pratique dans de nombreuses institutions accueillant les seniors, l’Académie organise des activités, notamment des soirées costumées pour célébrer l’arrivée de nouveaux pensionnaires où chacun arbore un joli bicorne, une cape et une épée. Il y a des petits fours et du champagne, c’est éminemment festif. Au quotidien, les académiciens peuvent s’inscrire à divers ateliers, dont le très populaire « Dire, ne pas dire », certainement l’un des plus utiles à la collectivité.
En effet, à la suite des travaux de ce cénacle, nous savons désormais qu’il faut dire : « La covid a tué un million de personnes », et non « Le covid a tué un million de personnes », ce qui, tout le monde en conviendra, nous a été d’un grand soutien pendant cette période difficile. Lesdits ateliers ne sont pas toujours aussi fructueux – on ne peut pas être génial tous les jours –, mais en feuilletant les pages de ce guide, on est pris d’une sorte de vertige devant la qualité des cogitations collectives de nos pensionnaires.
Ainsi, à l’entrée « Accidentologie », on apprend qu’il ne faut pas dire « Il y a une forte accidentologie sur cette route », mais bien « Il y a de nombreux accidents sur cette route ». De même, l’entrée « Merci d’avoir été notre invité » précise qu’il ne faut pas dire « Merci d’avoir été prié de nous accorder votre aide », mais bien « Merci de nous avoir aidés ». Et pourquoi employer « has been » quand on dispose de termes tels que « dépassé, ringard, d’un autre temps » ? Ces indications justifient à elles seules les vingt euros que coûte ce docte ouvrage, mais ceux qui se fendront de cette modeste obole obtiendront des réponses étayées à bien d’autres questions fondamentales, comme : « Dimanche : premier ou dernier jour de la semaine ? » ou « Comment appelle-t-on un collectionneur d’étiquettes de boîtes de fromage ? » (À la lecture de la première entrée, on lit que « dimanche » est issu du « latin chrétien dies dominicus », mais malheureusement – c’est l’une des rares lacunes de ce livre – les rédacteurs ont omis de préciser comment se disait « jour du Seigneur » en latin non chrétien.)
Remarquons par ailleurs que ce guide est résolument ancré dans la modernité. Comme le précise fort justement la quatrième de couverture : « En se confrontant à des questions d’usage pratique, à des cas concrets et quotidiens, ce travail constitue un vif hommage à l’intelligence et aux subtilités de la langue française. » On ne peut que souscrire à cette affirmation. Par exemple, doit-on dire « Il a été anobli par le souverain » ou bien « Il a été ennobli par le souverain » ? La première tournure est évidemment correcte, et avouons qu’il est fatigant d’entendre à tout bout de champ les gens employer la seconde ! Mais, armé de ce guide des bons usages, nul ne commettra plus ce déplorable impair.
Pour finir, évoquons la somptueuse couverture vert et or de Dire, ne pas dire, assortie aux costumes des académiciens, et gageons que ce livre trouvera sa place dans la bibliothèque de tout honnête homme [1], entre Le bonheur de séduire, l’art de réussir. Le savoir-vivre du XXIe siècle, de Nadine de Rothshild, et Plaidoyer pour le nucléaire et le sous-pull en acrylique, de Jean-Baptiste Botul.
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Et dans celle des honnêtes femmes, Dieu merci encore fort nombreuses, qui reconnaissent que le masculin l’emporte sur le féminin.