Après la série « Décamérez ! » du printemps, EaN publie chaque mercredi une nouvelle traduction créative de textes du Moyen Âge pour accompagner le confinement de l’automne. Le « Devizoomons ! » de Nathalie Koble invite à sortir de nos écrans en restant connectés grâce à des « devises », poèmes-minutes et méditations illustrées qui nous font deviser, c’est-à-dire converser, partager, échanger. La poésie nous entretient : des autres, du monde, de soi-même ; et elle prend soin de nous. Pour commencer, « Sur ce cheval… » de Henri Baude (né en 1415) et un rondeau de Christine de Pizan (née en 1364), suivis d’une méditation de l’effarement à l’épharement.
Sur ce cheval
Sur ce cheval, qui Volonté se nomme
Sans bride va Jeunesse, l’importune
Contre le roc périlleux de Fortune
Où jadis s’est précipité maint homme
Henri Baude, Dits moraux pour faire tapisserie
Ronds d’eau
Source de pleur rivière de tristesse
Fleuve en douleur mer d’amertume pleine
M’environnent et noient dans sa peine
Mon pauvre cœur submergé de détresse
Et je m’effondre plongée dans cette âpresse –
Leur course en moi va plus fort que la Seine
Source de pleur rivière de tristesse
Et leurs grands flots tombent avec largesse
Suivant le vent de Fortune qui les mène
Sur moi s’abattent si bien qu’avec grand peine
J’en reviendrai tant je sens que m’oppresse
Source de pleur rivière de tristesse
Christine de Pizan
Épharer
« Et l’infini terrible effara ton œil bleu ! »
Où sommes-nous ? toutes langues, genres, générations confondues – effarés
Nous nous tenons hébétés, corps sans tête, effarés et distants
La lune est bleue, nous nous tenons – dans nos îlots, cabrés
Nos prières sont fragiles contre vents et marasmes
Mais notre effarement a la fluidité
Des animaux sauvages, des choses invisibles et du rythme des vagues – il s’éphare :
Il cherche son rivage pour ne pas naufrager
1.
Effaré se dit d’un grand trouble moral, d’un étonnement mêlé d’effroi. Le mot désigne la stupéfaction, liée à une certaine paralysie du regard, sinon du corps et de la pensée. Parfois les choses elles-mêmes peuvent en arriver là
2.
Effarer se serait détaché d’effrayer, pour rejoindre le spectre de ce qui est farouche, non domestiqué, sauvage
3.
Spécialement en héraldique effaré désigne un animal qui se cabre : une licorne effarée est représentée en équilibre sur ses pattes arrière, prête à bondir
4.
Le phare – tour isolée édifiée sur une côte – doit son nom à l’île de Pharos, dans l’ancien port d’Alexandrie. Il est surmonté d’une source lumineuse puissante, qui sert à guider les bateaux pendant la nuit. Il évite les naufrages, il promet l’arrivée
5.
Le phare évoque aussi la seule source lumineuse, la source lumineuse seule : elle peut être à feu fixe, à éclats, à occultations. Balai, ou : tournant
6.
Les phares désignent toute source lumineuse servant à éclairer une zone pendant la nuit