Après la série « Décamérez ! » du printemps, EaN publie chaque mercredi une nouvelle traduction créative de textes du Moyen Âge pour accompagner le confinement de l’automne. Le « Devizoomons ! » de Nathalie Koble invite à sortir de nos écrans en restant connectés grâce à des « devises », poèmes-minutes et méditations illustrées qui nous font deviser, c’est-à-dire converser, partager, échanger. La poésie nous entretient : des autres, du monde, de soi-même ; et elle prend soin de nous. Cinquième épisode, pour aller se faire voir ailleurs.
1. théâtre animal
L’âne
– Allez vous faire voir ailleurs,
Bêtes pleines de déraison,
Quittez l’enceinte de la maison
Qui doit préserver son honneur !
Le renard
– Si les ânes font les gouverneurs,
Animaux prêchant la raison,
Le renard prendra ses oisons
Aux pieds des dissimulateurs…
Les animaux
– Si nous obtenons des faveurs
C’est parce que nous nous taisons
Et à tout propos nous servons
Leur plat préféré aux seigneurs.
(Henri Baude)
2. Goupil
On dit qu’il est très malin et plein de ruse – son chemin n’est jamais rectiligne. Lorsqu’il a faim, s’il ne trouve pas de quoi manger, il se roule dans la terre rouge, jusqu’à donner l’impression qu’il est couvert de sang. Puis il s’étend sur le sol, les pattes en l’air, et fait le mort, langue pendante. Il retient parfaitement son souffle : il gonfle sa poitrine et cesse de respirer. Les oiseaux, le voyant gueule béante à terre, affreusement gonflé, le croient mort. Ils s’approchent, espérant manger sa langue et sa chair. Dès qu’ils sont à sa portée, il les attrape, les étrangle et n’en fait qu’une bouchée.
Pierre de Beauvais, Bestiaire (XIIIe siècle)