Michelet à l’écoute de la nature

Pour conjurer les inquiétudes multiples de l’Anthropocène, les éditions du Pommier proposent de lire ou de relire des pionniers de l’écologie : Buffon, Humboldt, Reclus, et ici Michelet. « La nature parlait seule. Il fallait l’écouter. Je quittai un moment la trouble histoire humaine, si dure dans le passé, si dure dans le présent », écrit l’ogre des archives qui, la cinquantaine venue, avec une nouvelle compagne, Athénaïs, s’est ouvert au grand air. Quatre essais, L’oiseau (1856), L’insecte (1857), La mer (1861) et enfin La montagne (1868), témoignent de ce tournant naturaliste et de cette entente conjugale.


Jules Michelet, La montagne. Présentation d’Antoine de Baecque. Le Pommier, 265 p., 12 €


Antoine de Baecque, dans sa présentation du livre, reconnaît en Michelet un illustre ouvreur de cette histoire marchée qu’il a lui-même poursuivie en archives et en live sur les pistes des Alpes. Athénaïs et Jules ont cultivé cette expérience par plusieurs séjours alpestres en France et en Suisse. Athénaïs, dans son plaidoyer de veuve, Ma collaboration (1876), affirme avec vraisemblance que sa contribution a été aussi documentaire. Elle apportait au génial époux des lectures savantes de géologues, botanistes, géographes, qui élargissaient, de Java aux Andes, l’échantillon des montagnes évoquées.

Ces références balisent positivement et discrètement le récit et libèrent l’écrivain-poète. Sous le titre « Éclaircissements », sorte de postface bibliographique, Michelet liste ses emprunts et justifie son parti plus littéraire, voire philosophique. Tous ses guides savants pour la montagne sont les grands naturalistes européens et américains de son temps, et certains de ses ex-collègues du Collège de France.

« Dans le livre de La Montagne j’ai fait, de chapitre en chapitre, surgir les puissances héroïques que nous puisons dans la nature. » L’historien recherche explicitement la régénération de l’espèce humaine, l’exposé savant des faits naturels n’y suffit pas, celle-ci ne peut se réaliser que par une expérience des milieux, accompagnée d’un discours personnel visant à l’adhésion du lecteur, et le verbe micheletien y contribue. Le fait montagnard, minéral, hydraulique (neige, glace et torrent), végétal (forêts et alpages), est mis en texte et animé par le style. « Le glacier est chose vivante, non morte, inerte, immobile. Il se meut, avance, recule pour avancer encore. » Antithèse de ces sommets alpins, les volcans : « Ils ont l’air d’être des personnes, ces géants de feu diffèrent tous, ils ont des noms à part ». Leur présentation se prête à bien des métaphores, mais Michelet équilibre son inventivité par le rappel du rapport que Bunsen (l’homme du bec) fait de la composition de leurs gaz après une mission récente en Islande.

La montagne : Jules Michelet à l'écoute de la nature

Hautes-Alpes (2010) © Jean-Luc Bertini

Rien de fixiste dans ces montagnes, elles ont une histoire naturelle, avec leurs événements, leurs rythmes, et leurs métamorphoses. Il est surprenant de lire chez Michelet : « Je parle de révolutions plus grandes et plus importantes, de celles qui s’étendaient au globe, à toute la Terre ». Il reconnaît la nouveauté théorique : « Le combat pour la vie [Darwin], cette grande et simple formule inaugura une ère nouvelle dans l’histoire naturelle ».

Le lecteur contemporain trouvera dans cet essai des intuitions. Le glacier, « redoutable thermomètre sur lequel le monde entier, le monde moral et politique, doit avoir les yeux. C’est sur le front du mont Blanc, plus ou moins chargé de glaces, que se lit le futur destin, la fortune de l’Europe ». Pré-avis à la Commission ! Pas de collapsologie rampante, un peu d’inquiétude cependant devant les atteintes que la civilisation industrielle des plaines introduit dans la montagne. L’exploitation forestière prélève les arbres indigènes, et parfois leur substitue des essences banales. Et Michelet constate sans plaisir l’éveil du tourisme : « Ce qu’on voit aujourd’hui, avec les foules mondaines, la tourbe bruyante, qui afflue l’été à Chamonix, Interlaken, qui prend d’assaut l’Oberland, qui de sa vulgarité prosaïse ces nobles déserts ».

La seconde partie de l’essai est une sorte de tableau de la Suisse, des régions lémaniques aux replis de l’Engadine. La nature helvète enchante Michelet, il trouve aussi dans la vie politique de ces républiques cantonales matière à réflexion. Géopolitique alpestre ? Et l’on découvre que Michelet, avant Nietzsche, a goûté l’austère beauté de Sils-Maria.

On sait qu’à Vascœuil, chez son gendre Alfred Dumesnil, Michelet a croisé en 1863 la famille Reclus, dont Élisée, qui a été toujours déférent vis-à-vis de son aîné. Ont-ils échangé ? Élisée Reclus publiera son Histoire d’une montagne en 1876, sans référence explicite à l’essai de Michelet. Mais, d’un livre à l’autre, on ressent comme un souffle, un air de foehn porté par l’hospitalité suisse.

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