Servie par une vaste imagination bucco-dentaire, Fabienne Radi publie dans la maison d’édition suisse « art & fiction » un assemblage drôle, fait de trente-deux récits autour de la dentition, Émail diamant (du nom d’un dentifrice désormais historique).
Fabienne Radi, Émail diamant. Trente-deux récits à géométrie variable en rapport plus ou moins étroit avec les dents. art & fiction, coll. « ShushLarry », 171 p., 14 €
L’ouvrage de Fabienne Radi est beau, croquant. Il se paye le luxe d’une couverture crénelée de petites dents blanches, et donne le ton dès le départ : il s’agira d’un texte léger ou au contraire gravement majeur, mais jamais dépourvu de second degré.
Fabienne Radi est une écrivaine suisse, qui se partage entre Fribourg et Genève. Avec Émail diamant, où il y a du Butor, du Perec et du Radi, elle propose un recueil qui agrège des récits protéiformes, s’amuse à varier les styles, cite aussi bien le droit romain que des documentaires visionnés au hasard. Le résultat est une belle alternance entre poésie, fiction, extraits de journaux intimes, petites biographies de célébrités, commentaires des pratiques artistiques ou dentaires, etc. D’une analyse décapante de Hayley Newman qui performait comme au sortir d’une opération chez le dentiste jusqu’au portrait magnifique du médecin grasseyant son humour pataud, il y a des lignes remarquables. Les récits sont denses et distillent avec justesse de nombreux coups d’œil ou expériences vécues dans le flot du quotidien.
Mais à qui recommander ce livre ou comment le résumer ? « Pour ma part, j’écris des textes qui ne sont pas vraiment des essais, ni complètement des fictions, encore moins des poèmes, mais flirtent un peu avec tout ça. Ce qui n’est pas très original à une époque où le crossover est partout. Nos éditeurs sont petits, opiniâtres et forcément passionnés (ou vraiment masochistes) ; nos livres sont loin de provoquer des raz-de-marée dans les librairies – quand ils y sont diffusés –, mais disons que nous sommes appréciés par un petit cercle de lecteurs. »
Il semble plus compliqué de donner une définition d’Émail diamant que de montrer en quoi on l’apprécie. Ce n’est pas un objet de table basse, façon édition d’artiste qui prendrait bourgeoisement la poussière. C’est plutôt un carnet de poche ludique qu’on verrait bien dans un centre d’art, lâché aux visiteurs sans explication, histoire de voir qui rigolera le premier et qui lèvera la tête. Il s’inscrit aux côtés de publications très fécondes, de la part de maisons d’édition suisses, comme « art & fiction », Zoé ou La Baconnière, qui renouvellent sans cesse les travaux d’auteurs francophones et leur diffusion.
Ce qui plaît aussi dans Émail diamant, c’est son humour fait de parenthèses et l’étonnement un peu expérimental qu’il procure – bien qu’il soit parfois volontairement acide à l’égard de la « performance artistique », des fauteuils de dentistes qui ressemblent à des langues de bœuf, ou de la vie d’une artiste contemporaine.
Une fois mordu, il faut être un fervent lecteur et investir sa confiance jusqu’au bout, et pourquoi pas s’amuser à établir soi-même des ponts entre les chapitres. Car ce que promet Émail diamant à ceux qui s’y plongent, c’est un beau voyage dans l’imagination et toute sa plasticité. Et si le livre offre tant de résistance aux résumés, c’est qu’il y a de quoi saliver.