Nom de nom !

Tout ce que les écrivains, poètes, philosophes, critiques ont dit, écrit, pensé, rêvé sur et autour du nom propre se retrouve dans un livre patchwork signé Jacques Barbaut, C’est du propre.


Jacques Barbaut, C’est du propre. Traité d’onomastique amusante. Nous, 208 p., 20 €


On sait, ou on ne sait pas, que Jacques Barbaut n’est pas exactement ou plutôt pas complètement ou peut-être pas entièrement l’auteur de ses livres. Qu’il les remplit des mots des autres, comme d’autres leur valise de chemises : citations, notations, collages, traits de plume et d’esprit, lettres en folie, on trouve de tout dans la casse de Barbaut, la littérature majuscule et minuscule, avec toujours quelques noms qui reviennent, au caractère bien trempé : Perec, Debord, Jarry, pour ne citer qu’eux.

Mais le lecteur aurait sans doute dû commencer par le commencement. Car l’auteur qui n’en est pas tout à fait un, en plus d’être poète de naissance, est aussi lecteur-correcteur de métier. Ce qui, raccourci et mis bout à bout, donne : collecteur. Ici de la lettre A (A AS Anything), là du H (H ! Hache ! Hasch !), et là encore de l’année 1960 (1960. Chronique d’une année exemplaire).

C’est du propre, quatrième livre de notre presque non-auteur, ne fait pas exception à sa règle. Car voilà picoré, en quelque deux cents pages, à peu près tout ce que les écrivains, poètes, philosophes, critiques ont dit, écrit, pensé, rêvé sur et autour du nom propre – prénoms, pseudonymes, hétéronymes, aptonymes et autres contraptonymes, guillemets et italiques compris. Et le lecteur de se délecter.

C’est du propre. Un traité d’onomastique amusante de Jacques Barbaut

Jacques Barbaut © Alexandre Gouzou

Petit florilège dans le florilège :

« Maintenant je m’appelle Laurence. C’est mon prénom d’origine. J’ai réussi à ne pas l’égarer. J’ai tout perdu, mais j’ai retrouvé mon nom. » (Laurence Nobécourt)

« Swift : monosyllabe dont les trois premières lettres commencent phonétiquement par sourire avant de mimer, en leurs occlusives, le sifflement tranchant d’un rasoir – l’onomatopée d’un scalp. » (Cécile Guilbert)

« Dans Le Drame de la vie, j’ai inventé deux mille cinq cent quatre-vingt-sept personnages. Fabriquer leurs noms a été une joie totale ; ils me venaient sans efforts, comme s’ils m’étaient dictés. J’étais Adam nommant les animaux de la terre. Je voulais battre la Bible et ses mille neuf cent soixante et onze personnages. » (Valère Novarina)

« Les Noms, disait Artaud, ça ne se dit pas du haut de la tête, ça se forme dans les poumons et ça remonte dans la tête. » (cité par Christian Prigent)

« Et Rimbaud utilise son nom comme une arme contre le goût bourgeois de l’héritage de la poésie et le vit comme un destin qu’il ne sait pas. Face à la rime belle, Rimbaud fera du rim beau. » (Serge Pey)

Un nom propre, c’est un coquillage, dans lequel on entend le bruit de l’être et le bruissement de la lettre. Un signifiant en or, tel le Zátopek de Jean Echenoz, cette « machine lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Émile est fournie avec le moteur Zátopek ». Un nom propre, c’est un doigt pointé sur quelque chose, qui fait du bien, qui fait mal, qui ne fait jamais rien du tout ; qui gêne aux entournures, qui sépare, qui répare, que l’on colle, bricole : « Qui est Vadel et qui est Lamarche ? Leur nom est-il légal ou illégal, sécable ou insécable, séparé par un espace, comme les noms de famille composés, ou par un tiret, comme les noms d’usage ? » (Gaëtane Lamarche-Vadel, Le double nom).

Nom propre, parfois très commun, parfois confondu avec le nom d’un autre. Pour en rire : « Lévi-Strauss, professeur invité à l’université de Berkeley, va dîner au restaurant où il n’a pas réservé. Comme il y a une file d’attente, il donne son nom pour être appelé à son tour, et le serveur, avisé et curieux, lui pose alors cette question : « The pants or the books ? »  (Nicole Lapierre, Changer de nom). Pour le pire : « Les intimes m’appellent Stan, les familiers Bernard, les indifférents Rodanski et les flics Glücksmann » (Stanislav Rodanski). Gris argent du signifié, monnaie courante ou d’échange, c’est selon : « Avec mon nom, j’ai toujours pensé que j’étais moi-même mon propre père et ma propre mère et que je n’avais besoin de personne pour n’être apparenté qu’à moi-même. » (Jean-Luc Parant)

Mais le nom propre, c’est d’abord et avant tout la signature de la littérature même, ses fondations et son soubassement, ou, si l’on préfère, son épine dorsale. Ce que nous rappelle à toutes les pages le livre dudit, ou desdits auteurs. Comment un livre naît de son nom (la Recherche hantée par le r de Proust), comment des œuvres naissent sur des noms (encore Proust, Flaubert, Zola et tous leurs personnages aux noms choisis, désirés, ruminés). Comment une auteure dit non à son nom (du père) et dit oui à un autre nom pas si éloigné du premier (Duras/Donnadieu). Comment un auteur naît d’un autre, renaît en cent autres (Stendhal, Pessoa…). Burgelin, Starobinski, Bonnefis, Buisine ont écrit des choses remarquables sur ces nomophobes et autres cas de nomicides.

Le lecteur se souvient peut-être, ou peut-être pas, de cette femme dont parle Freud dans Totem et tabou. Il vaut la peine de citer le passage dans son entier : « elle avait pris le parti d’éviter d’écrire son nom, de crainte qu’il ne tombe entre les mains de quelqu’un qui se trouverait ainsi en possession d’une partie de sa personnalité. Dans ses efforts désespérés pour se défendre contre les tentations de sa propre imagination, elle s’était imposé la règle de ne rien livrer de sa personne, qu’elle identifiait en premier lieu avec son nom, en deuxième lieu avec son écriture. Aussi a-t-elle fini par renoncer à écrire quoi que ce soit ». Ainsi va parfois l’écrivain, d’écho de son nom en écho de son nom : jusqu’à disparaître de son livre…

Rassurons-nous. Pareille mésaventure n’est pas – encore – arrivée à Jacques Barbaut. À cause ou en raison de son nom ? C’est lui qui le dit : « Il pense dans une bulle : mon nom propre est très commun ». Et David Alliot d’ajouter : « Barboter (Ty) : Se disait d’un ouvrier typographe qui pillait les caractères dans les casses des autres ouvriers, il barbotait» Ou alors ? C’est la faute à Roubaud : « Je sais qu’il n’y a rien de plus incertain que l’onomastique des poissons… »

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