Deux questions aux éditions Obsidiane

Refuges de la poésie

C’est en 1978 que François Boddaert et Gilles Ortlieb ont créé la revue Obsidiane, d’où sortira la maison d’édition du même nom. Henri Thomas leur ayant apporté des inédits d’Artaud, de Jean Paulhan ou encore de Georges Perros, l’entreprise fut immédiatement remarquée. Resté seul, François Boddaert a lancé en 1986 la collection « Les solitudes » qu’il vient d’arrêter après avoir permis à plus de quarante auteurs de se faire connaître et pour certains (Marie-Claire Bancquart, Pascal Commère, Paol Keineg, Franck Venaille) d’arriver au premier plan. Le dernier titre était à peine sorti que François Boddaert, se souvenant qu’il avait été galeriste et avait exposé Pincemin, Dilasser, Jan Voos et beaucoup d’autres, a lancé, avec la complicité de Gérard Titus-Carmel, « Le carré des lombes », une collection centrée sur la collaboration entre un peintre et un poète.


Jean-Théodore Moulin, avec des encres de Pierre Lelièvre, Change est mon paradis. Obsidiane, coll. « Le carré des lombes », 64 p., 15 €


Comment se porte Obsidiane en 2021 ?

J’ai l’impression qu’Obsidiane a passé le confinement entre la sidération et l’inquiétude – ce qui veut dire qu’on s’attendait à la disparition quasi instantanée des livres nouveaux, mort-nés donc ! C’est en gros le cas, car les mises en place, déjà bien faibles depuis des années, se sont avérées étiques… Et comme il n’est plus question de lectures publiques et de signatures en librairie, il ne reste que les ventes directes à partir de nos fichiers de fervents soutiens. Le problème de maisons comme la nôtre tient moins à des stratagèmes de survie artificielle grâce aux politiques régionales ou nationale (en gros, le Centre national du livre, les Centres régionaux du livre, des soutiens locaux) qu’à l’effondrement du lectorat. Lequel s’envisage sous plusieurs angles : maigres rayons de poésie dans les librairies qui en ont encore un, absence d’enseignement de la poésie, disparition de la poésie dans les médias, etc. Les aides plus ou moins officielles, même bienvenues, ne masqueront pas longtemps l’effacement de la poésie du paysage intellectuel. Elle est devenue inactuelle, car lire la poésie, la digérer, prend du temps – dans un monde où tout est fait pour n’en plus avoir. Supprimer des écoles de commerce et les remplacer par des séances de lecture et de récitation de poésie, voilà la solution !

Spécial Poésie : deux questions aux éditions Obsidiane

Un livre à paraître en avril, L’anti-Faust, ramène au premier plan Michel Orcel, un nom important des années 1980.

Michel Orcel, vieux compagnon, s’est certes éloigné de sa propre poésie, mais pas de la poésie, car il la traduit toujours avec ce grand talent d’italianiste qu’on lui reconnaît. Je dirais que c’est presque naturellement que nous avons imprimé le livre, qui vient après sa récompense par l’Académie française [Michel Orcel a obtenu le Grand prix de poésie en 2020]. J’en suis d’autant plus heureux que je n’avais alors (et autrefois) publié que des proses de Michel alors que j’ai toujours aimé ses poèmes ! À preuve celui-ci, « Morale », dans L’anti-Faust :

« Il est de dures lois, même pour la tendresse,

et les yeux renversés dans l’amour,

la main qui grave, ou qui se glisse au creux des reins.

Mais qui veut, oiseau stupide,

dérober au Hasard le grain miraculeux,

qu’il brûle déjà son nom avec l’alcool

et prépare son lit funèbre : il aura tout perdu,

et même plus qu’il n’a reçu »

Propos recueillis par Gérard Noiret

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