Refuges de la poésie
Jusqu’à maintenant, le monde de l’audiovisuel s’est peu occupé de poésie, et quand il l’a fait c’est en confondant ses nécessités avec les spécificités du poème. Réfléchir au fait que celui-ci puisse exister comme spectacle, ce n’est pas le soumettre aux lois de la « société du spectacle ». Fabienne Beaudeau, après avoir collaboré plus de vingt-cinq ans à la production de films et de téléfilms, a créé en 2011 Nouvelles Perspectives Productions, pour qu’existent, selon le vœu de Jean-Luc Godard, des images susceptibles de « changer la vie ».
Vous avez eu l’idée de renouveler la vogue des petits formats qui, à la télévision, précèdent des émissions très regardées comme les journaux télévisés. Qu’entendez-vous par « poème cinématographique » ?
J’ai imaginé une collection de films de 3’30’’, « Place Ô poètes », dédiée aux 275 millions de locuteurs de la langue française sur les cinq continents. J’ai travaillé avec Francis Combes pour aller à la découverte du langage poétique de poètes marquants, bien vivants, femmes et hommes, français et étrangers, de langue française. La poésie et le cinéma sont liés par la puissance et la richesse de leur imagination, cette même imagination qu’évoquait Soupault en 1925 dans sa conférence « L’esprit nouveau et les poètes » : « le cinéma est un serviteur tout dévoué à la disposition de l’imagination de la poésie ». Le temps de la concision d’un poème, le poète à l’image, sa voix en « in » ou en « off », devient l’interprète de ses propres mots, de ses propres vers, dans une histoire dont il est le héros. La parole intime du poète devient ainsi encore plus partageable, et libère toute son humanité.
Où en est ce projet ?
À ce jour, trois films ont été achevés avec des génériques très originaux, dont Nue la liberté, film consacré à la poétesse syrienne Maram al-Masri, écrit et réalisé par François Marthouret. Ces films font partie du chapitre 1 d’une bibliothèque cinématographique, composée de dix films. Ils ont été produits grâce à la Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne. Sept restent à produire, 130 000 euros sont nécessaires pour cela. Tous ont été reconnus pour leur qualité. Ils sont labellisés « Printemps des Poètes » et sont soutenus par le Pen Club français. La Maison de la Poésie de Paris, l’Organisation internationale de la francophonie, l’Institut du monde arabe et divers festivals les ont déjà projetés.
Je suppose que, dans un monde à la Bolloré où l’on repasse dix fois les mêmes séries anglo-saxonnes entre les coupures de pub, tout en se gargarisant de poésie, votre projet a été mal vu ?
Là où le bât blesse gravement, c’est dans la commercialisation. Les décideurs des chaînes TV publiques et privées, des sites web de ces mêmes chaînes, n’ont pas pré-acheté à ce jour cette collection. J’ai sollicité beaucoup de décideurs, certainement pas tous… mais force est de constater que la poésie en tant qu’art du langage est aujourd’hui absente des grands médias.
Propos recueillis par Gérard Noiret