L’art nouveau vient d’Afrique

Pline l’Ancien écrit dans son Histoire naturelle : « Toujours Afrique apporte quelque chose de nouveau ». Sans cesse, les créateurs africains bouleversent, métamorphosent ; ils changent les allures inaccoutumées, les styles originaux. L’exposition Ex Africa, qui aurait dû commencer le 9 février et se finir le 27 juin, donne à voir 150 œuvres inattendues, très différentes, inventées par 34 artistes. La majorité de ces artistes sont africains, environ un tiers sont européens.


Ex Africa. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui. Musée du quai Branly-Jacques Chirac.

Catalogue sous la direction de Philippe Dagen. Gallimard/Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 256 p., 42 €

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Quatre « activations commandées » distinguent quatre créateurs : Kader Attia, Romuald Hazoumè, Pascale Marthine Tayou, Myriam Mihindou. Cette dernière est née en 1964 à Libreville. Sa formation pluridisciplinaire en architecture et aux Beaux-Arts de Bordeaux nourrit son travail protéiforme, qui la mène de ses voyages et de ses rencontres à ses performances, ses totems, ses ex-voto, ses photographies, ses broderies, ses sculptures. À l’origine de son projet, Trophée (2020) s’appuie sur ses rêves, ses visions, ses réminiscences. Elle a été elle-même initiée au Gabon afin d’accompagner son père, comme il le souhaitait, selon la tradition des pleureuses : dans cette cérémonie, les hommes se maquillent en femmes.

Exposition Ex Africa. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui

« La vraie carte du monde », de Chéri Samba © Chéri Samba / Patrick Gries

Dans cette installation, Myriam Mihindou joue sur les emblèmes de la fleur de lys qui est un symbole royal et un symbole marial, un symbole d’autorité ; elle se souvient de la Révolution française qui avait brisé et écrasé une grande partie du patrimoine estampillé ; mais elle admire toujours la beauté en Afrique des jardins de fleurs de lys… Selon elle, « l’Afrique, ce serait l’école d’un présent instable ». Myriam Mihindou cite une phrase de Nietzsche : « Il faut encore avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse. » Elle est inquiète face à l’épidémie actuelle et elle espère.

Kader Attia est né en 1970 en Seine-Saint-Denis ; il grandit à Alger et en banlieue parisienne. Il a participé à de nombreuses expositions, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (2012), à la Documenta 13 à Kassel (2013), à la Biennale de Venise (2017), dans une galerie de Londres (2019)… Il questionne souvent les esthétiques et les éthiques des cultures contemporaines. Ici, il offre Les Entrelacs de l’Objet. Il a connu les « mi-bracelets » de chevilles que portaient ses grands-mères et ses grands-tantes berbères. Il ne collectionne pas exactement ; il cherche à constituer un corpus de dialogues entre des objets d’Afrique, d’Asie, d’Europe ou d’Amérique, anciens ou contemporains, rares ou banals… Il cherche le vertige grisant de l’ignorant qui (dit-il) s’émerveille de la découverte de l’Autre. Le féminisme, le décolonialisme, l’environnement, l’interrogent.

Romuald Hazoumè est né en 1962 à Porto-Novo, où il vit et travaille toujours. Il est d’origine Yoruba. Depuis les années 1980, il utilise des matériaux de récupération. À partir de bidons en plastique, il crée des masques. Parfois, ses assemblages monumentaux emploient des rebuts, des objets. Ses expositions sont nationales et internationales.

Exposition Ex Africa. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui

« Mes collants totémiques » d’Annette Messager (2015) © Adagp, Paris, 2021

Pascale Marthine Tayou est né en 1966 au Cameroun. Il est autodidacte. Avec ambiguïté, il échappe à tout genre. Il a connu des scènes magiques dans l’écho des contes du fou de la cour. Il utilise à la fois le verre, le dessin, la performance, la photographie, la vidéo, l’installation. Ses œuvres sont régulièrement exposées dans les biennales, les musées et les galeries du monde entier. Le secret des rituels ancestraux est le culte de l’occulte.

De nombreuses œuvres surgissent dans le musée du quai Branly. Annette Messager, née à Berck, offre Mes collants totémiques (2015) : ses collants en nylon et des épingles ; elle trace huit groupes de portraits cubistes (des photographies peintes). Leonce Raphael Agbodjelou, du Bénin, photographie une série ; les Demoiselles de Porto-Novo (2012) sont des Africaines nues et masquées dans les salons de la ville, en un hommage aux Demoiselles d’Avignon (1907) de Picasso. ORLAN, née à Saint-Étienne, se présente en ses photographies, en sa « sculpture de soi », en ses self-hybridations africaines (2007). Franck Scurti, né à Lyon, a exposé ses œuvres au palais de Tokyo (2002), au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (2011), au Mamco à Genève (2014), au Grand Palais (2020) ; il transforme des masques africains devenus blancs grâce à une machine à thermoformer le plastique ; il intitule ces masques blancs White Memory (2007).

Nazanin Pouyandeh, quant à elle, est née en 1981 à Téhéran. À dix-huit ans, elle vient à Paris, après l’assassinat de son père, écrivain et traducteur ; ses dessins et ses peintures tissent l’hyperréalisme et les cauchemars fantastiques ; ils évoquent la violence et la guerre… Les travaux de Jean-Jacques Lebel, né en 1936 à Paris, sont issus de sa réflexion philosophique et politique ; dans son enfance, il a vécu à New York ; sa nourrice et baby-sitter, Nanny Lee, était âgée ; quand il a sept ans, elle devient son initiatrice au monde « noir » ; alors, le dimanche, dans une église de Harlem, les « copines » de Nanny dansent, tremblent dans une transe selon des traditions secrètes du Vaudou né jadis en Afrique, au Dahomey, puis en Haïti…

Exposition Ex Africa. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui

« Série des Demoiselles de Porto-Novo », de Leonce Raphael Agbodjelou © Jack Bell Galery / Leonce Raphael Agbodjelou

Il y a encore Pathy Tshindele, né en 1976 à Kinshasa ; c’est le fils d’un haut fonctionnaire du ministère de la Culture et des Arts ; au Zaïre, devenu la République démocratique du Congo, il a étudié la sculpture à l’Académie des Beaux-Arts jusqu’en 1999 ; en 2005, il rejoint l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg ; en 2012, il sculpte une série de rois assis. Ou encore Jean-Baptiste Jean-Joseph, né en 1967 à Haïti, qui crée des objets vaudous, des drapeaux (avec des paillettes brodées sur tissu) ; ce sera en 2011 Chouette coucou, chef de de la forêt.

Chéri Samba est né dans un village du Congo-Kinshasa, en 1956. Il est l’un des artistes africains les plus connus. Son père était forgeron. En 1972, à seize ans, il quitte son village ; il travaille à Kinshasa dans les ateliers des peintres d’enseignes et de publicité. Il est autodidacte. Il intervient au Centre Pompidou de Paris, au MoMA de New York, à la Biennale de Venise, à la Fondation Cartier… Il affirme : « Ma peinture intervient sur la vie des gens. Je ne m’intéresse pas aux mythes, ni aux croyances. J’interpelle les consciences. Les artistes doivent faire réfléchir. » Il est un créateur populaire ; il n’est pas naïf. Il met en scène le racisme, les inégalités, les maladies (le sida), la corruption, le colonialisme. Avec des cartels, avec des bulles de bandes dessinées. Chéri Samba s’expose souvent dans ses portraits. Il peint à l’acrylique. Et l’Afrique se métamorphose tous les jours…

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