Dans Billy Wilder et moi, Jonathan Coe évoque avec mélancolie mais sans aigreur la fin de carrière d’un grand d’Hollywood. Une réflexion sur la fugacité de la gloire et le passage du temps, où l’auteur démontre à chaque page son réel talent de raconteur d’histoires… et son humour.
Jonathan Coe, Billy Wilder et moi. Trad. de l’anglais par Marguerite Capelle. Gallimard, 304 p., 22 €
Pour un lecteur français, la prose de l’auteur de Testament à l’anglaise a indéniablement quelque chose de britannique, un ton qui correspond à l’image qu’on se fait d’un sujet de Sa Majesté de ce côté-ci de la Manche. Cette britannicité de plume, que Jonathan Coe partage avec d’autres (John le Carré, David Lodge, David Peace…), repose dans son cas sur une ironie légère, une distance amusée qui affleure dans chaque scène de ce texte qu’on l’imagine écrire avec une lueur amusée dans le regard. (En tout état de cause, c’est Marguerite Capelle que l’on devrait imaginer ainsi, parce que tout son talent de traductrice consiste justement à nous faire ressentir cela en français, mais c’est un autre débat…)
Quoi qu’il en soit, pour Coe, cette identité britannique est importante, comme il le déclarait dans Le Monde en 2019, à l’occasion de la sortie de son précédent roman, Le cœur de l’Angleterre, à la thèse résolument anti-Brexit : « Ce que signifie être anglais est devenu une obsession pour moi ». Cette fois-ci, pourtant, le contexte est très américain, puisque l’intrigue de ce court roman s’articule autour du tournage de l’avant-dernier film de Billy Wilder, Fedora, et que son action se déroule principalement en Europe, notamment en Grèce et en Allemagne, mais aussi à Paris et à Meaux. Néanmoins, l’Angleterre n’est jamais loin :
« – Ce n’était pas tout à fait pareil, répondit monsieur Diamond. Enfin, nous avons apprécié notre séjour là-bas, mais l’Angleterre, ce n’est pas l’Europe. Je sais que techniquement, l’Angleterre appartient à l’Europe, mais… l’Angleterre est à part, vous voyez ?
– « Oui, je comprends », dis-je. Et c’était vrai : quand j’allais à Londres avec ma mère, j’avais toujours ce sentiment de visiter un autre pays, mais aussi un autre continent. Un continent qui me fascinait, comme la plupart de mes compatriotes, mais dont beaucoup de coutumes nous paraissaient mystérieuses, excentriques, et tout à fait incompréhensibles. »
L’intrigue, plutôt mince, sert de prétexte à un portrait du réalisateur vieillissant au moment où il a cessé d’être le « roi de Hollywood » et où il a compris que ses grands films sont déjà derrière lui. En face, une nouvelle génération de réalisateurs, « tous barbus », fabrique un nouveau cinéma dont Wilder sent qu’il lui est inaccessible, principalement parce qu’il le trouve sans intérêt. Il n’a aucune envie de filmer un requin, comme Spielberg vient de s’y employer avec un succès retentissant, alors que lui-même a fait perdre tellement d’argent aux studios hollywoodiens qu’il en est réduit à chercher le financement de Fedora en Allemagne. L’histoire de la protagoniste, Calista, une jeune Grecque anglophone embauchée pour servir d’interprète sur le plateau, résonne en contrepoint à celle de Wilder. Pour elle, ces quelques mois de tournage seront une expérience initiatique qui déterminera le reste de son existence, et, pour lui, l’occasion de faire le bilan d’une vie en signant ce film qui, dans une évidente mise en abîme, raconte l’histoire d’une star oubliée et recluse dans une île grecque.
Comme Jonathan Coe le précise dans les « remerciements et sources » de son livre, pour s’imprégner et recréer l’ambiance du tournage, il a mené une enquête auprès des proches de Billy Wilder et d’Iz Diamond (son coscénariste attitré), allant jusqu’à interviewer certains acteurs du film, notamment Marthe Keller, qui tenait le rôle de Fedora. Il est d’ailleurs amusant qu’à l’instar de ce qui se pratique dans un essai de sciences humaines, à la fin du roman, une bibliographie répertorie les sources des propos que l’auteur met dans la bouche de Wilder.
Pourtant, ce n’est pas pour l’exactitude historique ou la méticulosité de son enquête qu’on prend plaisir à lire Jonathan Coe, mais pour l’acte de lecture lui-même. Son écriture a quelque chose d’aérien et d’élégant, une légèreté intrinsèque qui, dès le premier paragraphe, donne au lecteur la sensation de retrouver un ami perdu de vue et dont il s’aperçoit que décidément, oui ! il est vraiment fin et tout aussi drôle que dans le souvenir qu’il avait gardé de lui. À ce titre, au détour d’une réplique, Iz Diamond fait une remarque sur l’humour dans laquelle on devine presque un autoportrait de l’auteur : « Et je pris conscience que pour un homme comme lui, un homme fondamentalement mélancolique, un homme pour qui la marche du monde ne serait jamais qu’une source de regrets et de déceptions, l’humour n’était pas seulement beau mais nécessaire, que raconter une bonne blague pouvait faire naître un moment, fugace mais délicieux, où la vie prenait un sens particulier et ne semblait plus arbitraire, chaotique ni inexplicable. »
(À propos d’humour, profitons-en pour faire la publicité d’un roman peu connu de Coe, Les nains de la mort, paru en 1990 et traduit en 2001 [Gallimard], qui en est fort pourvu.)
À la lecture de Billy Wilder et moi, les amateurs de Coe ne seront pas dépaysés. On y retrouve son goût pour les variations formelles (ici, le récit de la disparition des parents de Wilder pendant la Seconde Guerre mondiale, présenté sous la forme d’un scénario, rappelle les faux comptes rendus de la BBC dans Testament à l’anglaise). Et pour ceux qui ne le connaissent pas encore, ce roman fournira une porte d’entrée agréable et légère au reste de son œuvre.