Crimes pour de vrai, crimes pour rire

Suspense (39)

Le schéma est familier : un personnage avoue un meurtre qu’il n’a pas commis. Il passe aux aveux généralement parce qu’il en a été « persuadé » par les autorités policières ou qu’il souhaite protéger un proche. Parfois, il revendique le crime sans que quiconque ait songé à le lui imputer, pour des raisons de pathologie ou d’« hubris », histoire de démontrer la stupidité de la maréchaussée ou de parvenir à la notoriété. C’est ce dernier cas que l’on trouve dans Psychiko, roman de Paul Nirvanas publié en feuilleton entre 1928 et 1929 et qui est sans doute un des premiers exemples du polar en Grèce.


Paul Nirvanas, Psychiko. Trad. du grec par Loïc Marcou. Cambourakis, 192 p., 10 €

Jerry Pinto, Meurtres à Mahim. Trad. de l’anglais (Inde) par Patrice Ghirardi. Banyan, 250 p., 17,50 €

Michael Connelly, Séquences mortelles. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Robert Pépin. Calmann-Lévy, 486 p., 21,90 €

Jørn Lier Horst, Le code de Katharina. Trad. du norvégien par Céline Romand-Monnier. Gallimard, coll. « Série noire », 451 p., 20 €

Franz Bartelt, Un flic bien trop honnête. Seuil, 176 p., 17,50 €


Tout dans le petit livre de Nirvanas est gentiment sympathique et amusé : rien de sanglant, rien de méchant, rien de réaliste. L’atmosphère est très « âge d’or du roman policier », version hellène. Et si le jeune bêta qui a « emprunté » le meurtre d’un autre est condamné à la guillotine, il en réchappera, et le vrai coupable, une fois démasqué, sera simplement jeté en prison parce que, dans ces contrées moustachues, « les crimes d’honneur émeuvent toujours ».

Du côté indien, avec autant de gentillesse de propos que dans Psychiko, voici Meurtres à Mahim de Jerry Pinto, un roman situé, lui, dans le monde d’aujourd’hui. Les meurtres du livre sont perpétrés dans les milieux de l’homosexualité et de la prostitution masculines à Bombay. Le traitement de tout cela est fait avec bonhomie, ce qui n’était pas donné, grâce à des personnages sympathiques et une intrigue tranquille. En plus de nous faire participer à la vie des classes moyennes en Inde, le livre est un plaidoyer contre certaines pénalisations criminogènes. En effet, Meurtres à Nahim montre les effets de la « Section 377 » du Code pénal indien condamnant les « actes contre nature » (ce texte fut aboli en 2018, mais le roman se déroule avant cette date). Cette section, plongeant les homosexuels dans une quasi-clandestinité, les rendait régulièrement victimes de chantage et d’extorsion, pratiques dans lesquelles étaient passés maîtres des policiers désireux de compléter leurs salaires.

Suspense (39) : Paul Nirvanas, Jerry Pinto, Franz Bartelt, Michael Connelly

Avec Psychiko et Meurtres à Mahim, les éditions Cambourakis et Banyan se « mettent » donc au roman policier. Chez les éditeurs « traditionnels », le noir continue de bien se porter dans sa version conventionnelle américaine : chez Calmann-Lévy avec le dernier Michael Connelly, scandinave chez Gallimard avec Le code de Katharina de Jørn Lier Horst, ou française et loufoque au Seuil avec Un flic bien trop honnête de Franz Bartelt.

Du côté américain, en effet, Michael Connelly s’est une fois de plus activé sur son efficace chaîne de montage et a livré un produit compétitif. Prenez un assassin en série avec modus operandi particulier, une course entre FBI et journaux en ligne pour le trouver, des échanges email haletants entre complices du tueur et personnage principal (Jack McEvoy, déjà présent dans Le poète), les bizarres pratiques d’un labo d’analyses ADN et, pour boulonner le tout, la hargne habituelle de l’auteur contre violeurs, pédophiles, etc., faciles incarnations du Mal ; vous obtenez Séquences mortelles.

Du côté scandinave arrive un brin de « hygge » norvégienne avec Le code de Katharina de Jørn Lier Horst, écrivain calme et compréhensif, grâce à – ou malgré – son passé d’officier de police. Soit, déjà connus des lecteurs, William Wisting, policier, et sa fille Line, journaliste, qui cherchent à résoudre des disparitions vieilles d’un quart de siècle. Il pleut, il y a des fjords, des forêts et un excellent montage final plein de suspense au cours duquel Wisting et un suspect passent tous deux un week-end à la dure, au bord d’un lac. On y apprendra deux ou trois choses intéressantes sur la pêche à l’omble chevalier et sur le système carcéral norvégien : pour les petites peines (moins d’un an ou deux), c’est par lettre envoyée à votre domicile que vous êtes prévenu de votre date d’incarcération et par une brochure jointe que vous êtes informé des règles de la prison ainsi que du trousseau et des objets que vous pouvez emporter  (pas plus de cinq livres): la liste fait râler un des personnages qui, condamnée à quatre-vingt-dix jours de taule, s’aperçoit, furieuse, qu’elle aurait le droit d’apporter un tapis de prière mais pas son tricot !

Suspense (39) : Paul Nirvanas, Jerry Pinto, Franz Bartelt, Michael Connelly

Lorsque l’inspecteur s’appelle Gamelle et que son adjoint est surnommé « le bourrin », nous savons que nous sommes dans la comédie policière. Franz Bartelt avait déjà dans Hôtel du Grand Cerf démontré qu’il avait du talent pour le genre ; il en donne ici une nouvelle preuve avec Un flic bien trop honnête. Les deux héros y passent une cent-soixante-dixaine de pages perplexes car le tueur en série qu’ils traquent ne sort d’aucune ligne de production connue et certainement pas de celles de Connelly. En effet, « ce tueur ne se vengeait de rien ni de personne. Il ne tirait aucune richesse de son crime. Il ne violait ni ne dépeçait ses victimes, ce que le bourrin désapprouvait […], parce que ce parti pris allait à l’encontre de tout ce que la police apprécie et comprend. ll tuait sans méchanceté. Il aurait pu graver des cœurs dans l’écorce d’un arbre ». Un flic bien trop honnête est fait pour les amateurs de dérision, de jeux de mots, de grotesque… bref, pour les amoureux de tout ce qui est « beau comme un coup de sifflet à roulette ».

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