Portraits de femmes

Pendant cinquante ans, de 1780 à 1830, les femmes artistes peignent, luttent, s’expriment, s’exposent, s’opposent, s’affrontent. La féminisation de l’espace des Beaux-Arts se modifie. Ce serait une métamorphose du goût, dont rend compte l’exposition Peintres femmes au musée du Luxembourg.


Peintres femmes (1780-1830). Naissance d’un combat. Musée du Luxembourg. Jusqu’au 4 juillet 2021. Catalogue : Éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 208 p., 150 ill., 40 €

Martine Lacas, Peintres femmes, 1780-1830. RMN/Gallimard, coll. « Découvertes », 64 p., 130 ill., 9,50 €


En 1783, le « coup de théâtre » met en évidence Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) et Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) qui sont reçues à l’Académie royale de peinture. Fille du pastelliste Louis Vigée, la première commence sa formation auprès de son père. Après son décès, elle étudie d’abord dans l’atelier de Doyen, puis chez Gabriel Briard dans l’atelier au Louvre. Elle rencontre (entre autres) les peintres Vernet, Greuze, Hubert Robert. En 1774, elle est reçue à l’Académie de Saint-Luc ; sa réputation de portraitiste talentueuse la distingue rapidement ; en 1776, elle épouse le marchand de tableaux Jean-Baptiste-Pierre Le Brun ; en 1778, elle devient peintre officiel de la reine Marie-Antoinette. Dès 1789, elle quitte volontairement la France révolutionnaire ; en Italie, en Russie, en Allemagne, en Suisse, son talent et sa rage de peindre transforment son exil de douze ans en un parcours triomphal des cours européennes. En 1802, elle revient en France et s’installe définitivement en 1809 à Paris ; elle cultive son réseau relationnel ; elle est une travailleuse acharnée ; ses Souvenirs sont publiés entre 1835 et 1837 ; elle a géré son succès posthume ; en 1984, deux volumes sont repris par les éditions Des femmes.

Exposition Peintres femmes (1780-1830). Naissance d’un combat

« Autoportrait de l’artiste » par Vigée le Brun (1800) © RMN/Musée de l’Orangerie

En 1783, Adélaïde Labille-Guiard est reçue à l’Académie royale ; elle est la fille d’un marchand de modes ; elle se forme auprès du miniaturiste et peintre sur émail François-Élie Vincent ; elle apprend la technique du pastel auprès de Maurice Quentin La Tour ; pédagogue convaincue, elle forme à son domicile un atelier de jeunes femmes dont certaines ont été hébergées sous son toit.

Ainsi, dans les années 1780, la vogue de l’éducation artistique et des arts d’agrément saisit la bourgeoisie, en pleine ascension sociale, s’approprie les signes de distinction des classes privilégiées (la maîtrise du dessin, l’érudition artistique, la fréquentation des expositions). Les jeunes filles sont encouragées par leurs familles grâce à un capital symbolique et patrimonial ; puis, après la crise révolutionnaire, leur profession est rémunératrice.

Exposition Peintres femmes (1780-1830). Naissance d’un combat

« L’atelier de Madame Vincent » par Marie-Gabrielle Capet (1808) © RMN/Musée de l’Orangerie

Pour le Salon artistique, ce sont 300 exposants sous la Révolution ; on passe à 700 exposants au début de l’Empire, puis à 1 200 à la fin des années 1840. Dans les Salons révolutionnaires, une trentaine de peintres femmes formerait 9 % des exposants ; au milieu des années 1820, elles seraient 200 : 15 % des exposants. Dans les Salons, elles choisiraient les portraits (souvent des autoportraits), les scènes de genre, les petits tableaux…

Dans le bas étage, sous le plancher de la galerie du Louvre, 26 ateliers-logements étaient desservis par un long corridor accueillant les artistes qui obtenaient ce privilège. Ils y vivent avec leur famille, leurs proches, leurs apprentis, leurs domestiques. Par exemple, au n° 2, Fragonard avec Marie-Anne, son épouse, peintre de miniatures, leur fils et sa belle-sœur Marguerite Gérard qui peint de petits portraits. Ou bien, au n° 6, Jean-Baptiste Regnault et son épouse, Sophie, qui supervise l’atelier à l’usage des demoiselles élèves. Au Louvre, dans les corridors, dans les escaliers, les enfants des artistes jouent ensemble. Les demoiselles et les jeunes gens, élèves des ateliers dirigés par des femmes ou des hommes, se croisent, sympathisent, nouent parfois des idylles ou des amitiés durables. Et, en 1806, Napoléon décide d’expulser les créateurs du Louvre ; il se serait exclamé : « Ces bougres-là finiront par brûler mes conquêtes ! »

Exposition Peintres femmes (1780-1830). Naissance d’un combat

« Vue du Forum le matin » par Sarazin de Belmont (1860) © RMN/Musée de l’Orangerie

Dans le catalogue du musée du Luxembourg, vous découvrez de nombreuses artistes « talentueuses ». Par exemple, Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1790-1870), peintre et lithographe, a mené avec succès une longue carrière de paysagiste jusqu’en 1868 ; elle a dessiné les sites italiens (Rome, Terni, Naples, Paestum, la Sicile) ; les critiques ont admiré ses paysages des Pyrénées, de Bretagne, de la forêt de Fontainebleau.

Ou bien, Julie Duvidal de Montferrier (1797-1865) épouse en 1827 Abel Hugo, devenant la belle-sœur de Victor Hugo ; or, auparavant Hugo avait demandé à sa fiancée, Adèle Foucher, de cesser de prendre des cours de dessin auprès d’elle afin de ne pas « descendre dans la classe d’artistes »… Ou encore, Constance Mayer (1774-1821) est éduquée dans un couvent ; se passionnant pour le dessin et la peinture, elle est l’élève de Suvée, de Greuze ; elle devient la collaboratrice et l’amante de Prud’hon ; elle se dévoue à la famille de celui-ci, puis, désespérée par son refus de s’engager, elle se tranche la gorge dans l’atelier du maître.

Ou aussi, Henriette Lorimier (1775-1854), élève de Jean-Baptiste Regnault, les critiques aimèrent ses œuvres aux « sentiments tendres et délicats » ; elle épouse le diplomate, archéologue et lettré François Pouqueville qu’elle rencontre en 1805 ; avec lui, elle fréquente le tout-Paris de l’Empire et de la Restauration ; en 1830, son portrait de lui est applaudi ; respectée, elle mène une carrière brillante.

Tous les articles du n° 130 d’En attendant Nadeau