Blanc, nom propre

Hors série Blanc En attendant NadeauAvec plus de 50 000 représentants nés entre 1891 et 1990, Blanc est le trente-deuxième nom de famille le plus courant en France. Aux États-Unis, White tourne autour de la vingtième place, mais au Royaume-Uni, seule l’Angleterre compte White parmi les vingt noms les plus courants. En voici six exemples.

Michel Blanc

Il y aurait d’abord le Blanc-blanc, pour ne pas dire le blanc-bec, le petit sec qui gesticule du haut de son télésiège, la voix déraillante débitant un pauvre inoubliable refrain : « Quand te reverrai-je, pays merveilleux… ? »  (Les Bronzés font du ski) ; il y aurait ensuite le Blanc-rose, amoureux malingre, yeux de cocker qui n’en mène pas large devant l’autre tête de chien (Gérard Depardieu dans Tenue de soirée) ; il y aurait aussi le Blanc-sombre, intrigant, dérangeant, perçant, façon Monsieur Hire (ailleurs ?).

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Il y aurait encore le Blanc-noir, l’impassible et parfait inspecteur Blot, qui « remugle » l’Histoire comme d’autres un tas de fumier(s) – 93, rue Lauriston. Il y aurait même le Blanc profond, homosexuel moral, qui transmue son désir en empathie (Les témoins). Il n’y aurait pas d’enfin, juste le corps tendu qui devient de plus en plus tendre, les traits du visage qui se précisent de film en film, l’intelligence de l’acteur qui va avec. Non pas trois, quatre ou cinq Blanc qui se suivent, mais une infinité de Blanc qui se mélangent : mat comme la vie lorsqu’elle ressemble à celle de monsieur Tout-le-monde, satiné comme une surface qui reflète les ambiguïtés du destin, brillant comme l’avenir qui sait regarder vers le passé.

Ou alors ? Comment le dire autrement ? Blanc comme ci ? Blanc comme ça ? À moins que… Oui, pourquoi pas : Michel ou la balance, impeccable, des Blanc ! Roger-Yves Roche


John White 

1577

Avec mes pinceaux et pigments je fis le portrait d’habitants des terres neuves de l’Arctique. Ils s’accoutrent de peaux de veaux marins et de hautes bottes. Les hommes sont fort habiles à la conduite de leurs petites barques et au maniement de l’arc. J’ai peint une femme avec son enfant ; elle avait des marques bleues peintes sur la face autour des yeux et sur les joues, d’une teinte similaire à celle qu’utilisaient les Pictes d’antan.

1584

Je me rendis à Roanoke, en Virginie [1], où je pus à loisir contempler les Algonquins en leurs occupations domestiques et rituelles. Ils se vêtent selon la douceur du climat et se peignent le visage et le corps. On trouve là-bas toutes sortes de poissons, oiseaux et plantes inconnus de nous qui se peuvent manger. J’eus grande joie de dépeindre tout ce que je pouvais de ce pays béni.

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John White (en habits sombres) devant le fort de Roanoke

1587

Je retournai à Roanoke en tant que gouverneur, mandé par Sir Walter Raleigh, avec une centaine de personnes, pour fonder une colonie selon le souhait de Sa Majesté. Au bout de quelques mois nous manquions de tant de vivres et autres commodités que je fus pressé de retourner en Angleterre. Je m’y résolus non sans peine, quittant ma fille Elinor, son époux et leur fille Virginia qui n’avait pas six semaines d’âge.

1590

Enfin le retour en Virginie après maints contretemps. La présence de l’Armada espagnole interdisait de prendre la mer. Je ne trouvai nulle trace de la colonie, si ce n’est une inscription isolée. On retrouva des coffres, dont trois qui m’appartenaient, leur contenu mis à mal, livres déchirés, armure rouillée. Je prie le Seigneur que ma famille ait reçu quelque secours et vive. Sophie Ehrsam

  1. Aujourd’hui ce lieu est dans l’état de Caroline du Nord aux États-Unis.

Mrs White

– Et si c’était elle, dans le grand salon avec le chandelier, ou dans la bibliothèque avec le poignard ?

– Qui, elle ?

– Bah, l’assassin, évidemment !

– Oui, mais qui ?

– Mrs White.

– Mrs White ? et pourquoi pas Mme Leblanc…

– Mais c’est la même, toujours la même. On avait l’habitude de voir Blanche White, la cuisinière joufflue en veste de cuisine et toque blanche. En réalité elle est connue de nos services depuis 1949. Il faut dire qu’en ce temps-là, elle se faisait appeler Nurse White et passait pour la gouvernante. Vraiment, cette Mrs White, elle n’a jamais été blanc-bleu.

Mais ça ne peut pas être elle : elle s’est volatilisée. Elle n’a laissé aucune trace. On est sans nouvelles de Mrs White depuis 2016.

– Mais du coup, peut-être que c’était elle la victime, pas l’assassin ? Encore une fausse piste… dire qu’à chaque fois, du côté du meurtrier, on fait chou blanc !

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Édition américaine du Cluedo (1972), avec Mrs White (première à gauche)

Seule du jeu de société Cluedo à représenter le personnel de la maison, troisième personnage féminin à côté de la femme fatale Miss Scarlet et de la douairière Mrs Peacock – Mlle Rose et Mme Pervenche dans la version française –, Mrs White (Mme Leblanc) a perdu sa place. Elle a été remplacée par Dr Orchid (scientifique de haut vol, croit-on savoir) pour bien montrer qu’une femme peut avoir des ambitions professionnelles au-delà de la domesticité. Tout de même, pour les habitués, la disparition de Mrs White a sans doute laissé un blanc. Catriona Seth


Luis Carrero Blanco

Le 20 décembre 1973 se produisit un spectaculaire événement. Les historiens de la conquête spatiale et ceux du sport se disputent à son propos. Les premiers prétendent que l’Espagne envoya ce jour-là son premier astronaute vers l’espace. Pour les seconds, le pays tenait là le champion du monde de saut en hauteur. Nous ne trancherons pas.

Arrêtons-nous plutôt sur les circonstances de l’exploit et sur la personnalité du champion (un astronaute l’est, à sa façon).

Le lieu de la performance est la rue Claudio Coello, à Madrid. Ce n’est pas une station spatiale à proprement parler : le pas de tir ne se distingue pas avec netteté. Rien à voir non plus avec un stade et sa piste qui conduit à la barre de saut en hauteur. On y trouve immeubles, boutiques, cafés et même un couvent.

Si l’on se réfère aux historiens de la conquête spatiale, l’astronaute a pris son envol dans un véhicule en rien dédié : la Dodge Dart GT 3700 ne s’alimente pas au propergol liquide. (La présence d’une auto rend caduque l’affirmation des historiens du sport).

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L’amiral Luis Carrero Blanco (au centre)

La personnalité de l’astronaute (ou de l’athlète) est l’autre surprise : l’Amiral Luis Carrero Blanco, compagnon de la première heure d’un putschiste devenu grabataire (et donc branché comme un cosmonaute grâce à sa tuyauterie), un certain Franco, cet amiral était aussi un fidèle de la paroisse Saint-François de Borgia. Lorsqu’il a accompli sa performance, il rentrait de la messe : même horaire, même trajet : mauvaises habitudes des obsessionnels et des croyants.

Le bond de Carrero Blanco, vingt mètres, lui permet de passer au-dessus du couvent jésuite de cinq étages avant de redescendre (ou de rejoindre les cieux éternels, les avis divergent).

Une méchante plaisanterie des chauffeurs de taxi madrilènes perdure : quand ils chargent un client pour la rue Claudio Coello, ils lui demandent toujours « ¿ A que altura ? ».

D’autres Espagnols narquois proposent la devinette suivante : « Qui est né sur terre, a vécu sur les mers et est mort dans les airs ? » Norbert Czarny


Blanco White

José María Blanco y Crespo naquit en 1775 à Séville et mourut Joseph Blanco White en 1841 à Liverpool. Au cours de sa vie, il fut prêtre catholique puis pasteur protestant, et combina de multiples activités journalistiques et littéraires. Son grand-père, venu d’Irlande au début du XVIIIe, s’appelait « White », mais avait changé son nom en « Blanco ». José María, lorsqu’il s’exila en Angleterre en 1810, reprit le patronyme originel,  en conserva la version hispanisée et anglicisa son prénom.

Blanco White fut tout sauf un homme d’opinions incolores, et s’impliqua dans la politique et les débats de son temps. Il le fit d’abord en Espagne, puis en Angleterre dans le journal qu’il avait fondé El Español (1810-1814) et dans ses Letters from Spain (1822), recueil des articles en anglais signés Leucadio Doblado qu’il avait rédigés pour le New Monthly Magazine. Ses prises de position le mirent en grand danger d’être déporté.

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Portrait de Blanco White par Joseph Slater (1812)

Parallèlement à ces engagements, il suivit une évolution théologique mouvementée: chaque fois qu’il se trouvait proche d’une religion ou d’une tendance religieuse, il finissait par douter. Il se mit donc à dos d’abord les catholiques, puis, une fois converti à l’anglicanisme, les anglicans, lorsqu’il s’avisa de trouver l’unitarianisme plus à son goût.

Blanco White, qui signait aussi Juan Sintierra (Jean Sans terre), avait peut être le talent de ne se sentir à l’aise nulle part ou en tout cas dans aucune « case ». C’est sans doute ce mélange d’agitation, de désarroi et de pugnacité intellectuelle, qui parut familier à deux créateurs espagnols du XXe, exilés en France pour fuir le franquisme: le peintre Eduardo Arroyo et l’écrivain Juan Goytisolo.

Eduardo Arroyo a ainsi réalisé dans les années 1970 une série de cinq grands tableaux facétieux et romanesquement paranoïaques où il imagine l’existence de Blanco White en Angleterre. Il n’est représenté à chaque fois que par ses élégants plastron de chemise, gilet et nœud papillon, blancs tous les trois. Cet amusant geste anti-pop, plastiquement intrigant, pourrait également figurer la dissolution de soi ou le sentiment d’invisibilisation qui menace tout exilé.

Juan Goytisolo, de son côté, a choisi un Blanco White à son image, s’opposant aux idées et politiques réactionnaires, désireux de détruire les mythes racornis de l’hispanité. Il a ainsi traduit en 1972 et publié en Argentine —pour éviter la censure franquiste— les textes anglais du politiste, puis un Blanco White en 2010. Avec lui, Blanco White apparaît comme un penseur trop audacieux pour avoir été apprécié de ses contemporains.

Mais aux yeux d’Arroyo et de Goytisolo, leur compatriote du XIXe siècle est avant tout l’exemple fascinant, excessif et douloureux, de ce que produisent les ruptures radicales de l’exil par rapport à une famille d’origine, une religion, une nation, et une langue. Il est l’homme d’une vie intranquille, exigeante, aux ajustements multiples, très éloignée de l’unicolorisme du nom qu’il s’était choisi. Claude Grimal


Jacques Blanc

Qui se souvient de Jacques Blanc ? Médecin, élu de Lozère, député, secrétaire d’état sous le gouvernement Barre, sénateur, il a dirigé la région Languedoc-Roussillon de 1986 à 2004. Parcours classique, presque caricatural, d’élu provincial. On dirait du Balzac médiocre et ennuyeux. Fait pour tomber dans l’oubli. On ne retient pas grand-chose de lui si ce n’est son opposition permanente avec Georges Frêche pendant des décennies. En 1998, il remporte, à l’instar de Charles Millon, les élections régionales avec l’apport des voix du Front national. Choc, mobilisation citoyenne, manifestations, les associations, les partis s’indignent, les gens défilent dans les rues, l’association Ras l’front en tête…

C’est le temps, pour moi, des premières mobilisations politiques autonomes, une sorte de colère mêlée d’effroi qui s’impose, évidente, sentimentale en quelque sorte. Un passé fantasmé qui vient exciter la fougue prompte de la jeunesse, une incompréhension dont on ne sait pas bien quoi faire…

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Jacques Blanc (à droite), en 1987 © CC BY-SA 4.0

On ne se souvient presque pas de ce monsieur Jacques Blanc donc. Sauf dans des sous-préfectures occitanes ou dans les rédactions des journaux régionaux. C’est heureux dans un sens… Mais cette oblitération, ce blanc dans la mémoire politique, ne concrétise-t-il pas une situation actuelle où la « banalisation » de l’extrême-droite semble anesthésier la vie citoyenne, qui fait qu’on ne se met même plus en colère, qu’on ne marque pas une opposition radicale, de principe, à une politique nauséabonde ?

Nostalgie, effarement, mémoire sélective, sursaut ? Que figure ce politique qui semble d’un autre temps ? Peut-être simplement cela, le temps qui passe. À son évocation, un peu incongrue diront certains, on aura cette moue que l’on fait en se retournant sur sa jeunesse en se méfiant de ce qu’on en pense ou en tire, un désir peut-être de constance et de méfiance, une vigilance en tout cas. Hugo Pradelle

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