Nino Rota hors champ

Disques (26)

D’excellents interprètes se réunissent pour un disque consacré à la musique de chambre de Nino Rota (1911-1979). On y entend du piano seul, des trios et même un nonette. Même sans scénario, la musique de Rota peut raconter une histoire. Dans tous les cas, elle flatte agréablement l’oreille.


Nino Rota, Chamber Music. Emmanuel Pahud, François Meyer, Aurélien Pascal, Éric Le Sage, Paul Meyer, Daishin Kashimoto. Alpha, 19 €


Nino Rota est, dans la mémoire commune, le compositeur central de la plus belle période du cinéma italien, dans la trentaine d’années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Ses contributions sont, certes, plus ou moins notables mais leur liste n’en donne pas moins le vertige par sa longueur, particulièrement dans les années 1950. On en compte treize, par exemple, pour la seule année 1953 !

Dans le même temps, Rota parvenait à mener une carrière de compositeur indépendant, écrivant pour des formations allant du piano seul à l’orchestre symphonique, sans négliger l’opéra. Dans ses compositions de musique de chambre, il fait volontiers la part belle aux instruments à vent : ce disque en propose une sélection intéressante pour la variété des instruments réunis et qui s’écoute avec beaucoup de plaisir.

Disques (26) : la musique de chambre de Nino Rota

C’est en trio qu’Emmanuel Pahud à la flûte, Daishin Kashimoto au violon et Éric Le Sage au piano entament avec fougue cette sélection. De l’énergie, il en faut pour mener ce trio jusqu’à son terme. Mais il faut également faire preuve du plus beau lyrisme : le second mouvement, que Pahud amorce comme une belle cantilène, n’en manque pas ; chacun des trois musiciens l’exprime à sa manière et y entraîne les autres dans un savant mélange des voix. Le troisième mouvement, quant à lui, est, par sa multitude de phrasés, d’attaques et d’accentuations, plein d’une vitalité communicative.

Restitué par neuf musiciens dont on ne détaillera pas ici les noms, le nonette de Rota a des allures de concerto pour orchestre, avec une variété incroyable de couleurs sonores. L’introduction du deuxième mouvement, très schubertienne dans sa façon atmosphérique de soutenir une mélodie, est particulièrement belle. Dans cet Andante se trame un drame dont le scénario n’est pas écrit mais qui montre que, même lorsqu’elle n’est pas destinée au cinéma, la musique de Rota est narratrice. Le Vivacissimo final présente d’ailleurs les mêmes accents dramatiques. Le reste du nonette est plus volontiers allègre et badin, sans pour autant tomber dans la mièvrerie.

Le livret d’accompagnement du disque prétend que le trio pour clarinette, violoncelle et piano – interprété par Paul Meyer, Aurélien Pascal et Éric Le Sage – s’entend comme une œuvre de maturité. Certes, le trio est très beau, mais est-ce maturité que de se contenter de manier avec talent les langages musicaux d’illustres ancêtres ? Ne soyons cependant pas sévère puisque Rota compose tout de même, il ne se contente pas d’écrire « à la manière de ». Et, surtout, notons à la deuxième et plus encore à la troisième minute de l’andante un passage de musique pure d’une beauté renversante qui mérite à lui seul qu’on se procure cet enregistrement.

Le disque propose en outre quatre pièces pour piano seul, dont deux préludes d’une belle poésie toute romantique. Pour intéressante qu’elles soient, on aurait préféré d’autres œuvres de musique d’ensemble pour compléter le programme.

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