La fête de la boulange

« Je voudrais en avoir sans cesse, / On l’appelle pain de Gonesse » : ainsi s’exprimait un poème du XVIIe siècle, et c’est cette économie du blé et de la boulange que présente Jean-Pierre Blazy, dont le travail est parfaitement complémentaire des recherches de Steven Kaplan sur les boulangers de Paris au XVIIIe siècle. Blazy est à la recherche de la vie socio­économique qui a permis à la Franciade, le vrai « Pays de France », de fonctionner pour les marchés forains de Paris, alors que Kaplan s’est davantage consacré à la fabrique intra muros du « meilleur pain du monde ».


Jean-Pierre Blazy, Pain de Paris, pain de Gonesse. Préface de Jean-Marc Moriceau. Créaphis, 376 p., 28 €


Jean-Pierre Blazy montre l’écosystème que portèrent ces plaines à blé du nord de Paris, dont le cœur va de Bonneuil à Goussainville, Villiers-le-Bel, Arnouville et alentours. Elles nourrirent une précoce densité de population, et s’y établit un système de fermage qui permit à une moyenne bourgeoisie rurale de combiner les métiers de laboureur et de boulanger tandis que la bluterie se faisait dans les moulins de la petite vallée du Croult. Des dynasties, tels les Destors, s’adonnaient aux différents métiers du blé et finirent en boulangers et marchands parisiens, d’autres en robins, voire, pour le dernier, en notable élu politique et bienfaiteur de l’hôpital de Gonesse.

Pain de Paris, pain de Gonesse, de Jean-Pierre Blazy

Détail du plan du duché de Montmorency levé par Henry Sengre (1686). La vallée du Croult avec ses affluents était un des plus importants centres de la meunerie en Ile-de-France pendant l’Ancien Régime. Les moulins à eau sont indiqués par le symbole de la roue © Archives du château de Chantilly

Ce système était fondé sur la location des terres des ordres religieux qui possédaient 40 % des sols alors que les paysans laboureurs, malgré leur aisance, ne passèrent que de 11 % à 18 % de la propriété au cours du XVIIIe siècle. On sait l’emprise qu’avaient les carmélites de Saint-Denis ou l’Hôtel-Dieu de Paris. C’est à partir de leurs contrats que s’établit la grande culture sur de vastes exploitations de plus de 100 hectares, et une cinquantaine de plus de 200 hectares. Les fermiers ne devaient pas seulement une rente matérielle à ces institutions mais leur position les protégeait directement ou indirectement en cas de trouble et de guerre au XVIIe siècle. Ce sont en revanche la paix, le démarrage et le libéralisme économique du XVIIIe siècle qui ruinèrent ce système au profit des marchands blatiers et de nouveaux blutages qui permirent le pain noir des pauvres. Au fil du siècle, Gonesse passa de 3 400 à 2 200 habitants. En 1790, il ne restait que sept boulangers laboureurs, même les chertés ne leur profitaient plus, car ils s’endettaient auprès des meuniers. Quand les initiatives de Turgot suscitèrent des oppositions en 1776, on parla de « guerre des farines » et non plus de la rareté du pain.

Le village de Gonesse fut néanmoins considéré comme un des plus beaux de France, fort de ses maisons à toit de chaume puis de brique qui s’ouvraient par une vaste porte charretière sur une cour avec dépendances tant pour les employés – car ces exploitations comprenaient un personnel varié — que pour le fournil, le bois nécessaire aux cuissons (la bourre), les greniers. Il fallait aussi des écuries et des étables : c’est en voiture à cheval que le pain était porté les mercredis et les samedis par la route des Flandres vers une douzaine de marchés de la rive droite à Paris. Les étables étaient tout aussi nécessaires, les moutons appartenant aussi au système de l’assolement céréalier (ils entretiennent les soles moissonnées et fument la terre qu’ils pacagent).

Pain de Paris, pain de Gonesse, de Jean-Pierre Blazy

Le marché au pain et le marché à la volaille, quai des Augustins (XXe siècle) © CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Ce livre toujours vivant et précis donne la synthèse des travaux de l’auteur et de tout ce qui a été étudié à la suite et sous la direction de Guy Fourquin (thèse de 1963) puis de Robert Muchembled à Paris X, outre les travaux de Jean-Marc Moriceau (1992). Il témoigne aussi de l’attachement de la communauté savante de ces lieux à leur histoire, non point conçue comme une déréliction mais comme une entité autonome qui peut témoigner de tous les événements économiques et politiques d’une vie rurale si proche, si déterminante et déterminée par la capitale, mais qui ne fut aucunement une relégation, ni la misère pour tous. Le pain de Gonesse rimait bien avec allégresse.

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