Ta-Nehisi Coates, essayiste noir américain, vient d’écrire avec La danse de l’eau son premier roman, qui s’ajoute au corpus assez fourni des « neo-slave narratives » (« nouveaux récits d’esclavage »), récente catégorie de l’histoire littéraire américaine dans laquelle on fait figurer des œuvres d’Ernest Gaines, Toni Morrison, Colson Whitehead… Ce livre, sur lequel l’auteur a travaillé pendant une dizaine d’années, fait suite à des travaux non fictionnels qui ont attiré l’attention : Une colère noire : Lettre à mon fils (2015) et Huit ans au pouvoir (2017).
Ta-Nehisi Coates, La danse de l’eau. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty. Fayard, 479 p., 23 €
La danse de l’eau, qui mêle réalisme et fantastique, se déroule dans le Sud avant la guerre de Sécession et a pour sujet l’esclavage. Le narrateur et héros du roman de Ta-Nehisi Coates, Hiram, est esclave sur la plantation de son père, un homme qui lui a donné une bonne éducation et le traite avec bienveillance, ce d’autant plus que son fils légitime blanc, futur héritier de ses biens, est un être vulgaire, ignorant et paresseux. Lorsque ce dernier meurt et que Hiram comprend qu’il restera toujours esclave, il décide de s’enfuir. Une suite d’aventures s’ensuit : Hiram abandonne ceux qu’il aime, se retrouve agent de l’Underground Railroad, est fait prisonnier de trafiquants d’esclaves, rencontre Harriet Tubman, se retrouve trahi, vit un temps à Philadelphie, s’efforce d’arracher d’autres Noirs à l’esclavage, etc.
Le surnaturel s’insère dans le roman grâce à la capacité mémorielle extraordinaire de Hiram et à son talent pour la « Conduction » (sorte de téléportation magique non gouvernée par la volonté). Ces deux pouvoirs que Hiram tente de maîtriser ont sans doute une fonction métaphorique de programme pour les Africains-Américains d’aujourd’hui : ils doivent d’une part reconstituer leur histoire et de l’autre envisager de se déplacer, non géographiquement bien sûr, mais politiquement vers un « ailleurs » qui les fera sortir de l’état de subordination dans lequel ils se trouvent. Bref, le livre semble fournir suffisamment de péripéties et d’idées pour effectuer, but premier du récit sur l’esclavage, une recréation d’un passé difficilement imaginable, et esquisser une perspective sur ce que serait un avenir pour les descendants de ceux qui l’ont subi. Les témoignages d’anciens esclaves sont en effet assez rares en dehors des Underground Railroad Records de William Still, dont s’inspire Coates, et de ceux recueillis dans les années 1930 par le Federal Writers’ Project de la Works Progress Administration de Roosevelt auprès des derniers anciens esclaves encore en vie.
Mais La danse de l’eau peine à la tâche. L’évocation de l’expérience de l’asservissement n’évite pas le simplisme grotesque, les éléments fantastiques sont plus « parachutés » qu’efficacement intégrés au récit, tandis que la teneur réflexive sur le plan politique, moral, émotionnel, est assez mince. Intrigue, rythme, personnages et dialogues manquent d’élan et de souffle ; le roman apparaît ainsi comme plus consciencieux qu’inspiré. Sans doute Coates n’est-il pas romancier, ou pas encore : La danse de l’eau, en tout cas, fait malheureusement plouf.