Alain Fontenay, photographe, propose à Célia Houdart d’écrire sur une rencontre qu’il a faite, un jour, dans Paris. Celle de Richard Avedon. Le résultat de cette rencontre se voit aux pages 103 et 104 de Journée particulière, le récit qu’en fait l’écrivaine. Deux photos assez semblables. Sur l’une, Alain Fontenay et Raphaëlle Gitlis ; sur l’autre, Richard Avedon et Nicole Wisniak, fondatrice de la revue Égoïste.
Célia Houdart, Journée particulière. P.O.L, 112 p., 13 €
L’ami de Célia Houdart est photographe de plateau et tous les gens de théâtre, notamment les metteurs en scène qu’elle cite, connaissent son travail. C’est un « grand contemplatif » : « il a la faculté de capter des ambiances, des gestes, des présences. Il cultive le flou qui fait voir, le flou qui parle. Au théâtre comme dans la vie. Dans ses propos comme dans ses photos. Un bougé imperceptible. De la perturbation comme mode de perception ». Ce qu’il attend de Célia Houdart n’est pas non plus très net et il faudra un certain temps pour qu’elle comprenne. Le double portrait s’éclaire, après bien des détours. On n’en dira pas trop, sinon qu’au théâtre les répétitions ne sont pas un détail.
Ce récit est fait de fragments, de digressions (qui bien sûr n’en sont pas), de sauts et rebonds. L’autrice l’écrit d’emblée : « Ce livre est une reconstitution, une suite de zooms et de panoramiques, un montage. Un peu comme dans Blow Up de Michelangelo Antonioni. Sauf qu’ici il n’y a heureusement, aucun meurtre. »
Certes, mais. Quand Avedon lui demande quelle photo de lui il préfère, Alain évoque le torse de Warhol aux cicatrices. Lesquelles sont le résultat d’une tentative d’assassinat de l’artiste, par Valérie Solanas. Avedon a compris qu’il avait affaire à un connaisseur. D’une certaine façon, cela le flatte. On apprend en effet, au fil du récit, qu’il a toujours voulu être considéré comme un artiste, et non comme un photographe de mode. Son rêve était de figurer aux côtés de Diane Arbus et de Lee Friedlander. Harper’s Bazaar était sa référence parce que ses photos côtoyaient des textes de Virginia Woolf ou de Faulkner. Il était « parmi les écrivains ».
Célia Houdart ne pratique pas le flou mais son approche progressive lui permet de sentir juste, de saisir ce qui fait l’œuvre d’Avedon. Elle comprend enfin la notion de punctum d’une photo, ce hasard qui « point, meurtrit ou poigne », selon Barthes qui en fait l’une des clés de La chambre claire. Dans l’œuvre d’Avedon, le punctum (qu’elle appelle aussi atteinte, terme appartenant au vocabulaire de la chasse) vient d’un contraste entre la sérénité de l’artiste et ses photos pas aussi apaisées que lui : « Peut-être parce que la tempête se concentre sur mes photos et pas sur mon visage », dit-il dans une interview à la radio.
Ses portraits sur fond blanc sont impressionnants : « Tous mes portraits sont des autoportraits », dit-il. On pourrait appliquer cette remarque au livre de Célia Houdart. « Enfant de la balle », ayant joué, enfant, le rôle de souffleuse pour ses parents comédiens, elle aussi se laisse capter par un objectif invisible. On ne la voit pas mais on l’imagine. Évoquant les radiographies que son grand-père médecin gardait de la famille, elle parle de ce noir et blanc-là, celui des membres brisés et réparés. Ce n’est pas si éloigné du buste barré de cicatrices d’Andy Warhol : c’était son vrai visage.