Dans Les papillons de Nabokov, le boomerang de Gracq, Thierry Le Rolland raconte les passions et autres manies de quelques écrivains.
Thierry Le Rolland, Les papillons de Nabokov, le boomerang de Gracq. Arléa, coll. « La rencontre », 136 p., 17 €
En couverture du livre de Thierry Le Rolland, Nabokov, élégamment vêtu, pose à Montreux, sans le filet à papillons qui a fait de lui l’un des plus célèbres spécialistes de ce lépidoptère. L’auteur de Feu pâle ou d’Ada ou l’ardeur, qui dessinait aussi le scarabée pour analyser La métamorphose de Kafka, collectionnait les raretés. Il a laissé son nom, « Nabokovia » à des Lycénidés (entre autres groupes). Valery Larbaud aimait les soldats de plomb et en possédait plus de dix mille. Il arrivait qu’il les alignât en ordre de marche ou de bataille et il ajoutait la touche de couleur qui manquait, sans jamais se tromper sur les uniformes.
Stendhal faisait collection de pseudonymes, et chacune de ses lettres, chacun de ses textes, étaient signés d’un autre nom, comme si tous les agents de Louis XVIII ou de Charles X étaient à la poursuite d’Henri Beyle. Auraient-ils traqué le comte de Chadevelle ou Anastase de Serpière ? Loti aimait les déguisements. Et que dire du premier camping-car conçu par Raymond Roussel ? Il faut lire le portrait que Michel Leiris dresse de lui pour mesurer sa singularité. Roussel voyageait loin sans jamais sortir de cette maison ambulante. On verra enfin quelque chose d’émouvant dans le tabagisme de Svevo, « tentative de faire taire les grenouilles », selon sa veuve.
À la fin de son livre, qui recense un certain nombre de collections, celles de Colette, de Zweig ou d’Hemingway, Thierry Le Rolland énumère d’autres passions : celle de Mallarmé pour la yole qui naviguait à Valvin, celle de Gide pour la crapette, ou celle de Paulhan pour ses grandes « messes boulistiques » aux arènes de Lutèce. Et puis le goût de Leopardi pour les « gelati », la collection de chaussures de Thomas Bernhard, etc.
Retenons de ces collections et passions diverses ce qu’en disait Hermann Broch et qui ouvre ce livre qu’on a envie d’offrir aux collectionneurs ou aux amateurs de biographèmes : « Tout collectionneur, par l’absolu d’une collection sans lacune, jamais atteint, jamais accessible mais toujours opiniâtrement poursuivi, va par-delà les objets rassemblés aborder à l’infini et, disparaissant dans sa collection, il en espère la conquête de son propre absolu et l’abolition de sa mort. »