Le Booker Prize 2021 a couronné The Promise de Damon Galgut dont la traduction française vient de sortir. C’est le troisième lauréat sud-africain, après, excusez du peu, Nadine Gordimer (1974) et John Coetzee (1983, 1999), qui décrocheront par la suite le prix Nobel. Avec la première, Galgut partage la fuite de ses ancêtres face aux pogroms tsaristes. Comme le second, c’est une personnalité austère et réservée.
Damon Galgut, La promesse. Trad. de l’anglais (Afrique du Sud) par Hélène Papot. L’Olivier, 304 p., 23 €
Retracer l’histoire d’un pays à travers l’évolution d’une famille est un procédé efficace. L’apport de Galgut réside dans son style délié, ses remarques ironiques, sa façon de déplacer son propos comme une caméra qui sauterait d’un personnage à l’autre sans crier gare.
La saga commence en 1986, sous l’état d’urgence. À cette époque, des conscrits mal formés tiraient à tout-va dans les townships. Elle s’achève en 2018, alors que finit par démissionner le président Zuma, trainant une dizaine de casseroles nauséabondes à ses basques.
En dépit de son patronyme, la famille Swart (« noir ») est profondément afrikaner, aux ordres d’un pasteur calviniste allumé. Cependant, l’épouse du père de famille est de confession israélite, illustrant la complexification de la population blanche qui s’est opérée à partir des années 1970. La maison se situe dans le Highveld, quelque part entre Johannesburg et Rustenburg. Le chef de famille tient un parc herpétologique et se fait parfois enfermer dans une cage avec ses serpents.
À l’occasion du décès de leur mère, les trois enfants, Anton, Astrid et Amor, entament des formes différentes de rébellion. La jeune Amor tient notamment à faire respecter la promesse maternelle de donner à Salome, la servante tswana, la maisonnette qu’elle occupe dans un coin de la propriété. Mais la famille parle « une langue qui piétine tout, décapite les consonnes, broie les voyelles ». Elle oublie vite.
Les paroles pèsent peu, en effet. Où vont les mots ? « Regardez-les s’envoler, passer la porte, suivre le couloir, passer par la fenêtre. Ils s’élèvent au-dessus de la ville, une petite troupe en forme de poème, à la recherche de la femme à qui est destiné ce chant. »
Les temps changent après l’arrivée de Mandela au pouvoir. Astrid noue des amitiés avec la nouvelle bourgeoisie noire, Anton se met à boire, Amor devient infirmière à Durban. Le pasteur crée sa propre Église, la First Assembly of the Revelation in the Highveld. Un gourou exerce une influence croissante sur la plus extravertie des tantes. La violence n’épargne pas les Swart, « imprégnés de chagrin et de cupidité ». Ils s’accrochent à leur domaine contre vents et révoltes : « Rien ne relie plus la terre que l’arc ombilical d’un jet chaud d’urine jaune. »
Johannesburg est la ville la plus foudroyée au monde. Le haut plateau connait des déchainements climatiques impressionnants : « Le tonnerre se gargarise au fond de la gorge du ciel. » Il n’est donc pas étonnant que la tranche de vie d’Amor Swart commence et s’achève sous un orage. Certes, elle tiendra la promesse familiale, mais bien tardivement. Un groupe autochtone revendique la terre ancestrale « chargée d’énergie ». Filant la métaphore jusqu’au bout, l’auteur a choisi d’achever son récit sur une dispersion de cendres ratée. Elle ne laisse qu’une trainée noirâtre sur le toit de la grande demeure.
Jusqu’à présent, Damon Galgut ne nous avait pas donné accès à son humour pince-sans-rire, à son art des bifurcations surprenantes. Un docteur irréprochable décrivait des conditions de travail déplorables dans un hôpital au temps des homelands (aussi connus sous le nom de bantoustans). L’écrivain sud-africain a aussi versé dans la nostalgie amère avec Dans une chambre inconnue, analysant en trois voyages les difficultés des relations humaines sous toutes les latitudes. La promesse, roman fort bien enlevé, débouche toutefois sur un constat acide : les Blancs ont toujours du mal à considérer les Noirs comme des êtres humains à part entière.