Robin Renucci clôt une décennie aux Tréteaux de France et un cycle Racine par une magnifique mise en scène de Phèdre. Pour la première et la dernière fois, il crée un spectacle dans les locaux du Centre dramatique national itinérant, avant son départ pour la Criée de Marseille, autre centre dramatique national.
Jean Racine, Phèdre. Mise en scène de Robin Renucci. Tréteaux de France. Jusqu’au 4 juin ; tournée à partir de juillet 2022
Robin Renucci est un acteur populaire, connu d’un large public grâce à ses nombreux rôles au cinéma et à la télévision, notamment dans Un village français, de 2009 à 2017. Mais « populaire » a pour lui un autre sens, celui hérité de Jean Vilar et du TNP. Création, transmission, formation et éducation populaire, qui constituent les axes de son travail aux Tréteaux de France, étaient déjà mises en œuvre à l’Association des rencontres internationales artistiques (ARIA). Se souvenant de stages si formateurs pour lui, avant son entrée à l’École Charles Dullin, puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, il avait organisé en 1998 un stage de réalisation théâtrale, en Corse, dans le village natal de sa mère, Olmi-Cappella. Ainsi se créa cette association, reconnue en 2021 comme Centre culturel de rencontre, qui réunit chaque été comédiens professionnels et amateurs, enseignants, étudiants. Celui qui, en 1987, tenait dans la Cour d’honneur du Palais des papes un des trois rôles principaux dans Le soulier de satin, le légendaire spectacle d’Antoine Vitez, et qui, en 1988, au même endroit, interprétait Claudius dans Hamlet, mis en scène par Patrice Chéreau, assure une transmission dans une région privée de toute institution théâtrale. Il y fait aussi partager son enseignement au Conservatoire.
Depuis 2011, Robin Renucci dirige les Tréteaux de France. Il devient ainsi le lointain successeur de Jean Danet, qui, en 1959, avec le soutien de Jean Vilar, faisait sa première tournée avec un chapiteau, puis de Marcel Maréchal. Il peut ainsi, selon son vœu, aller à la rencontre de ceux qui ne vont jamais au théâtre. Par exemple, chaque été, depuis 2017, le chapiteau rouge s’installe dans divers lieux d’Île-de-France, propose des spectacles, mais aussi des ateliers de pratique artistique et d’initiation à l’art théâtral.
Au fil des saisons, grâce à la simplicité des moyens, des outils de théâtre conçus par Patrick Bouchain pour s’adapter à tous les espaces, les Tréteaux de France peuvent se déplacer d’une commune à l’autre, sur un même territoire, pour assurer la continuité d’une présence. De ce fait, Paris n’est qu’un lieu parmi d’autres. En 2016, pendant un mois, le Théâtre de l’Épée de Bois avait accueilli « La grande escale des Tréteaux », avec six spectacles, dont L’école des femmes, mise en scène par Christian Schiaretti avec Robin Renucci dans le rôle d’Arnolphe, mais également des débats, des ateliers, des stages. La Maison des métallos, dans le XIe arrondissement de Paris, a programmé deux mises en scène de Robin Renucci : L’avaleur d’après Other People’s Money de Jerry Sterner, et La guerre des salamandres, d’après Karel Čapek, dans une continuité thématique sur « le travail, la richesse et la création de la valeur », pendant les saisons 2015-2018.
Pour la première et la dernière fois, sous la direction de Robin Renucci, les Tréteaux de France présentent, durant quelques jours, un spectacle dans leurs locaux. Souhaités par Robin Renucci, ils ont été aménagés à Pantin, puis en 2017 à Aubervilliers. Ils contiennent, entre autres espaces, trois salles de répétition, qui portent les noms de trois grandes figures de la décentralisation et de l’éducation populaire : Christiane Faure, Jeanne Laurent et Jean Zay. Ainsi se termine le cycle Racine, poursuivi depuis 2019, avec Andromaque, Bérénice, Britannicus, joué avec des masques en mai 2020. « Nous sommes confrontés à la destruction de la langue et de la syntaxe avec le jargon publicitaire, les slogans, les éléments de langage en politique, les tweets… Mon objectif à travers ce travail sur l’œuvre de Racine est de redonner à entendre, à tous, la langue dans toute sa beauté et sa complexité. » Robin Renucci se trouve conforté dans ce choix par la réaction de jeunes gens qui disent : « Je n’ai pas tout compris, mais j’ai ressenti de l’émotion » – et qui reviennent !
C’est un moment exceptionnel de pénétrer dans les bâtiments, marqués du logo stylisé, créé pour les Tréteaux de France par Yánnis Kókkos, scénographe attitré d’Antoine Vitez, entre autres. L’impression d’élégante simplicité se poursuit dans la salle, face à un beau plateau de bois circulaire, prolongé par quatre rampes d’accès, dans un dispositif quadrifrontal (Samuel Poncet). Les interprètes restent présents pendant toute la représentation sur des bancs, à trois angles, un peu en retrait des spectateurs sur les chaises. Sous le poids des affects, ils semblent parfois parcourir difficilement la rampe, se projeter sur l’aire de jeu, comme Phèdre poussée, presque portée, par Œnone. Ils portent de magnifiques costumes (Jean-Bernard Scotto) qui confèrent aux femmes un port hiératique, parfois soumis à une intense perturbation. L’expression des émotions se manifeste par une grande énergie physique, rendue particulièrement sensible par la proximité, dans la jauge réduite toujours voulue par Robin Renucci. Lorsque Thésée, étendu par terre, pleure, avec de vraies larmes, son fils mort, tous les spectateurs sont impressionnés.
Cette grande expressivité physique ne perturbe en rien le rapport à la langue et à l’alexandrin qu’entretiennent les interprètes, presque tous réunis pour la quatrième fois, dans la familiarité avec l’œuvre de Racine. Judith D’Aleazzo (Panope), Nadine Darmon (Œnone), Marilyne Fontaine (Phèdre), Patrick Palmero (Théramène), Eugénie Pouillot (Aricie), Ulysse Robin (Hippolyte), Chani Sabaty (Ismène), Julien Tiphaine (Thésée) : toute la distribution témoigne d’un vrai travail de troupe. Ils vont se retrouver à la Criée, où le spectacle est programmé. Certains reprendront Andromaque pour le Festival d’Avignon au Théâtre du Chêne Noir. À Robin Renucci, arrivé à Marseille le 1er juillet, succédera Olivier Letellier, déjà associé à son parcours ; il s’adressera aux « publics jeunes de tous les âges », selon l’expression qu’il emploie dans sa postface au livre consacré à la décennie de Robin Renucci aux Tréteaux de France : Il n’y a pas d’œuvre sans public.