Lettre ouverte à ceux qui veulent que la poésie décoiffe

Née à Bucarest en 1981, Linda Maria Baros poursuit une œuvre ébouriffante. Projetés sur des immeubles, imprimés sur une multitude d’objets, gravés, mis en musique et traduits dans de nombreux pays, ses poèmes d’une grande tension sont constamment inventifs. D’abord publiée par les éditions du Cheyne et maintenant par Le Castor Astral (La nageuse désossée. Légendes urbaines, 2020), elle est aujourd’hui un repère dans la poésie en train de se faire.

En Allemagne, aux Pays-Bas et en Europe centrale et de l’Est, pour ne prendre que ces exemples, a émergé dans les années 2000 une nouvelle vague poétique. Que l’on appelle d’ailleurs parfois la génération 2000 ou millénariste. Celle-ci a été suivie de la génération 2010 et, en toute logique, nous verrons se coaguler bientôt une nouvelle génération, celle des années 2020.

En France, ce type de taxinomie – établie dans d’autres pays par la critique littéraire – n’existe pas. Les voix poétiques ayant émergé au fil des années étaient plutôt indépendantes et à géométrie variable. Il n’y a pas eu – cela est indubitable – de groupes générationnels auto-définis et perçus en tant que tels.

Je constate néanmoins que tout cela est en train de changer. Certes, depuis peu de temps. Mais depuis suffisamment longtemps pour qu’on puisse déjà entrevoir une nouvelle vague se cristalliser. Non seulement grâce à une redynamisation et à une revalorisation de la poésie (prise au piège de nombreux clichés qui ont cimenté son quasi-immobilisme générationnel), mais également – et ce point est essentiel – grâce à l’édition indépendante. Grâce aussi à la toile, bien que, malheureusement, on n’aime pas toujours l’admettre.

À ceux qui veulent que la poésie décoiffe, par Linda Maria Baros

Linda Maria Baros © Phil Journe

Qui dit nouvelle vague dit nécessairement nouvelle donne. On me fait parfois remarquer qu’il est trop tôt pour que cette dernière se détache de manière nette, qu’il faudra attendre qu’elle se décante pour que ses lignes de force soient parfaitement identifiables. C’est évident. Mais cela n’empêche pas la nouvelle vague de déferler. J’y vois le commando poétique dont j’attends la descente depuis une quinzaine d’années. Un commando qui puise sa force dans le mot qui ne lisse rien, dans le mot qui casse, dans la décharge électrique de l’authenticité et de l’innovation. J’y vois un moyen pour combattre autant le culte du banal que toute forme d’inaccessibilité élevée au rang de qualité suprême. Pour combattre aussi le recyclage stérile, le vers glucidique et les jugements préconçus. Une nouvelle donne contre l’inertie.

Et je ne parle pas seulement de cette inertie à laquelle on se heurte tragiquement quand on feuillette certains recueils. Vous les connaissez tous ; je ne les évoquerai donc pas. Je pense également à l’image que l’on a ailleurs de la poésie de langue française. Quand on se rend dans une librairie à l’étranger et qu’on consulte le rayon consacré aux traductions ou bien quand on participe à un festival international organisé dans tel ou tel pays non francophone, on est frappé par la place plus que réduite qui est faite aujourd’hui à la poésie écrite en français. Il s’agit là d’un état de choses qui ne devrait pas laisser indifférent. Je sais, les auteurs ont ici, pour la plupart, horreur des politiques promotionnelles. Pourtant, ils devraient prendre attitude !

Et je suis intimement convaincue qu’un commando poétique qui donnerait un nouveau visage à la poésie française et qui la promouvrait enfin énergiquement serait à même de changer la donne. Soutenons-le pour que sa descente soit volcanique.

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