La saison d’été est en France la période des traversées ou des défis natatoires. Il en existe beaucoup de par le globe, en toute saison. La nageuse Luce Madrigal en présente ici quelques-uns pour En attendant Nadeau.
C’est pendant les mois d’été que s’effectuent aussi bien des exploits sportifs individuels sur des parcours « classiques » que de sympathiques pataugeages de groupe nouvellement inventés par des municipalités balnéaires soucieuses d’animation touristique. À chaque talent sa course : « Saint-Cyr en nage » (le golf des Lecques dans le Var, 3 km), la traversée du lac Léman (de Lausanne à Évian, 13 km), ou celle de la Manche (34 km au plus court, mais allongée par courants et marées souvent à 40 ou 50 km).
Mais il est déjà trop tard pour les inscriptions ; surtout pour les challenges « mythiques » comme, par exemple, « La Traversée de Paris à la nage », challenge né en 1905, disparu puis récemment remis au goût du jour (Bondy-Paris, 10 km), ou « Le Défi de Monte Cristo », du château d’If à Marseille (5 km), vieux seulement de 23 ans mais très populaire… Peut-être est-il encore possible d’effectuer, le 27 août, la traversée Le Havre-Sainte-Adresse (1,5 km), puisqu’il suffit d’arriver à temps (avec sa combinaison sous le bras et à condition d’avoir plus de 14 ans) pour apposer son nom sur la liste des 200 personnes autorisées à concourir. Départ digue nord au Havre, arrivée estacade de Sainte-Adresse.
Mais, pour tenter de traverser la Manche, comme 600 personnes chaque année, il faut très tôt avoir tout prévu. Pour vous lancer dans l’aventure, vous devez, en plus d’être bien entraîné, suivre un protocole strict. D’abord, contacter l’une des trois associations anglaises qui encadrent les « Channel Swims », seules habilitées à accompagner les nageurs et à homologuer leur record ; ensuite, fournir un certificat attestant de vos capacités à nager dans une eau à 15° pendant plus de 6 heures ; puis choisir dans une liste fournie par l’association un pilote et un bateau qui gèreront votre parcours (coût : environ 4 000 euros, que le trajet soit ou non accompli) ; enfin, fixer une date de traversée et régler les frais d’inscription (450 euros). Tout cela est à organiser au moins douze mois à l’avance, et même plus, les meilleures dates étant, ainsi que certains pilotes, « réservés » trois ou quatre ans à l’avance. Il n’existe aucune solution de rechange, la traversée (plus difficile) dans l’autre sens, de France en Angleterre, étant interdite depuis 1999.
Vous voilà donc parti de Shakespeare Beach, point habituel des mises à l’eau, peut-être le 22 août, car c’est le jour de l’année le plus favorable avec son coefficient de marée très bas. Mais alors vous ne serez pas seul, une soixantaine d’autres personnes auront choisi le même endroit, le même jour, la même heure pour leur départ.
Et si, 6 heures et 55 minutes plus tard (temps réalisé par la traversée la plus rapide) ou 28 h 44 plus tard (celui de la plus longue – eh oui, ces fichus courants !), vous arrivez au cap Gris-Nez, vous pourrez être content de vous car seul un nageur sur cinq y parvient (mais environ 2 000 personnes depuis 1875, date de la première traversée). Pour réussir dans les règles, vous n’aurez pas eu le droit de porter de combinaison, ni de nager avec des palmes, ni de toucher le bateau accompagnateur, et vous aurez dû ingurgiter en mer les aliments qu’on vous aura lancés ou tendus sur une perche pour vous sustenter. Vous aurez fait fi des piqûres de méduses, des flaques de fioul, des déchets, du mal de mer, de la circulation intense des navires et de la houle de leurs sillages.
Mais peut-être, comme Chloë McCardel, avez-vous déjà effectué ce « Channel Swim » 44 fois et êtes-vous à la recherche de challenges plus exigeants et d’émotions différentes ? Mille courses récentes en eau libre, ou ce qu’on appelle maintenant « eau tumultueuse » (« rough water »), vous offrent la possibilité de renouveler vos sensations aquatiques. Vous pouvez, par exemple, vous tourner vers l’un de ces nombreux marathons océaniques qui existent aujourd’hui aux quatre coins du globe. Pour une eau tempérée ou chaude, et l’aide du Gulf Stream, optez pour un 100 km le long des côtes de Floride. Et si vous êtes en forme, un 250 km ; comptez alors dans les vingt-six heures pour les effectuer (c’est en tout cas le record de Pablo Álvarez, en 2021).
Ou inventez votre propre défi, comme Ross Edgley qui, en 2018, a fait le tour de la Grande-Bretagne en 157 jours (avec repos sur un bateau accompagnateur mais sans jamais mettre pied à terre). Ou tentez de réussir, comme une vingtaine de nageurs de l’extrême, l’« Oceans Seven », créé en 2008 et inspiré des Sept Sommets chers aux alpinistes. À votre traversée de la Manche, il suffira d’ajouter celle du détroit de Gibraltar (14 km), de Tsugaru (Japon, 44 km), de Cook (Nouvelle-Zélande, 26 km), du canal du Nord (entre l’Irlande et l’Écosse, 34 km), de Molokaï (Hawaï, 44 km) et de Santa Catalina (Californie, 34 km). Dans l’ordre que vous souhaitez.
Préparez la déclaration que vous devrez, en cas de réussite, faire aux journalistes lorsque vous émergerez de votre septième traversée. À leur traditionnel « Alors, vous vous sentez comment ? », vous pourrez répondre, empruntant les mots d’une nageuse de longue distance, humoriste autant que sportive, parvenue à destination : « Comme une côte de porc qui sort du congélateur ».