Le Dictionnaire du fouet et de la fessée porte un sous-titre explicite : Corriger et punir. Il balaie une multitude de thèmes conduisant au même constat : tout au long de l’histoire, la correction par infliction corporelle est une donnée universelle, commune à toutes les civilisations, à toutes les époques. C’est bien ce que montre l’accumulation d’exemples de toutes sortes qui fait la matière de cet ouvrage où se côtoient les notions en apparence les plus divergentes.
Isabelle Poutrin et Élisabeth Lusset (dir.), Dictionnaire du fouet et de la fessée. Corriger et punir. PUF, 816 p., 28,50 €
En introduction de ce très complet Dictionnaire du fouet et de la fessée, les auteures rappellent que bien rares sont les personnes qui n’ont pas gardé le souvenir cuisant d’une punition scolaire, d’une gifle ou d’une fessée donnée par un parent.
La présence constante de la violence correctrice est montrée dans 428 notions et exemples, puisés dans les domaines les plus divers : « Alcool », « Amende », « Amour », « Blasphème », « Brutalité », « Pédiatrie », « Peine de mort », « Violences éducatives ordinaires », en passant par « Nils Holgersson », « Grand frère des cités », ou encore « Vierges du Bon secours ».
La violence et l’arbitraire sont partout présents. On va d’Ancone à l’île de La Désirade, au large de la Guadeloupe, où l’on reléguait les fils de famille ; de la famille aux maisons de discipline. Que peuvent bien avoir de commun Hergé et les ordres monastiques, Charles Dickens et la médecine légale ? La présence plus ou moins prononcée du châtiment corporel, comme un même fil qui lie tant de religions, de juridictions ou d’institutions de toutes natures…
La cohérence toute particulière de cet ouvrage, en apparence dispersé, est due à cette thématique du « droit de correction ». Présent sous les formes les plus diverses, le droit de correction est une sorte de déterminant qui relie toutes ces entrées. Il est le signe majeur d’une faillite finale des systèmes sociaux, tous contraints, pour s’imposer, de recourir aux coups, en dernier ressort. Dans tous les articles, tôt ou tard, il est question de punition ; elle n’est nulle part contestée dans son principe mais souvent dans ses modalités.
« Aristote chevauché » est suivi d’« Armées » : les sujets se suivent, tous liés les uns aux autres par la présence constante du châtiment corporel, de l’Antiquité aux temps modernes, en passant par l’âge classique, l’université, mais surtout le collège. Après « Menace », on rencontre « Ménétra Jacques-Louis » : son manuel d’éducation paternelle, éducation surtout caractérisée par les coups, est parvenu jusqu’à nous.
On sait que la belle-sœur de Louis XIV, Élisabeth-Charlotte de Bavière (Madame Palatine) faisait beaucoup fouetter ses pages. Au XVIIe siècle, il s’établit toute une règlementation de l’usage du fouet, en particulier dans les collèges de jésuites. La brutalité et la violence de ces pratiques s’atténuent à mesure que la ritualisation s’accroit.
La justice recourt très longtemps aux instruments qu’utilisent les ordres religieux et les établissements d’instruction, où le fouet est constamment présent. Il est implicitement au fond de toute institution sociale, collège, atelier ou prison ; tous les rassemblements humains, tous les enfermements (Michel Foucault), s’organisent finalement sous la menace toujours possible d’une répression physique, d’un exercice quotidien et visible de la répression de la faute par la coercition corporelle. Le fouet colonial, la chicotte, a ainsi dominé l’histoire africaine, régie par les colonisateurs européens jusqu’au XXe siècle.
Ce dictionnaire évoque aussi les pénitenciers d’enfants dénoncés par le journaliste Alexis Danan avant la Seconde Guerre mondiale. En 1992, Marie Rouanet, dans son livre Les enfants du bagne, décrit celui de Villefranche-de-Rouergue. La fessée a formé d’innombrables générations de pensionnaires, d’adolescents ; elle a influé sur leur évolution. Jadis, des forêts de martinets pendaient au plafond de toutes les drogueries de France. En Allemagne, c’était « l’oncle jaune », la baguette de bambou (der Rohrstock), qui a peut-être orienté la sinistre histoire de ce pays, tout au long du XXe siècle, au point de susciter toute une littérature populaire.
Un passage du dictionnaire est ainsi consacré au film Le ruban blanc, dont le sous-titre allemand est Eine deutsche Kindergeschichte (« Une histoire d’enfance allemande »). C’est dire la portée de cette institution qui constituait le fondement de toute une société. C’est bien longtemps après Rousseau, en 1976, que ces pratiques sont vraiment remises en question, au premier chef par C’est pour ton bien, un livre de la psychanalyste suisse Alice Miller. La « pédagogie noire » est peut-être à l’origine de la formation de l’univers concentrationnaire national-socialiste. Dans le domaine de la psychanalyse, il y a débat. Les auteures rappellent les divergences de fond avec Freud, qui signale dans un texte célèbre l’ambiguïté de la correction corporelle. Le fouet et la fessée règneront sur l’éducation européenne jusqu’à leur interdiction en 2006.