Promenades en milieux fragiles

Nick Hunt, marcheur et écrivain, applique imagination et esprit de système à ses randonnées. Dans son dernier livre, Un palmier en Arctique (dont le titre anglais est Outlandish : Walking Europe’s Unlikely Landscapes), il se rend dans quatre endroits en Europe qui « ne devraient pas se trouver là »: une parcelle d’Arctique en Écosse, un « vestige de forêt vierge » entre Pologne et Biélorussie, un désert en Espagne, et la steppe en Hongrie.


Nick Hunt, Un palmier en Arctique. Voyages imaginaires à travers l’Europe. Trad. de l’anglais (Royaume-Uni) par Alexandra Maillard. Gallimard, 336 p., 24 €


Dans Walking the Woods and the Water (2014, non traduit), il avait suivi les traces du plus célèbre des écrivains voyageurs anglo-saxons, Patrick Leigh Fermor ; avec Où vont les vents sauvages, il s’était lancé à la découverte de quelques vents mythiques européens. Cette fois-ci, avec Un palmier en Arctique, Nick Hunt raconte comment il est parti à la recherche d’anomalies géographiques et les a découvertes près de chez lui, à portée de train et de mollet ; il les a parcourues rêveur, observateur et courbaturé.

Un palmier en Arctique, de Nick Hunt : l'Europe sauvage

Dans le désert de Tabernas (Espagne) © CC3.0/Colin C Wheeler

Elles lui ont offert les émerveillements de la beauté ou de l’étrangeté, elles lui ont fait rencontrer les rares hommes et femmes qui y vivent ou les traversent, elles lui ont donné des sueurs froides (lorsqu’il a été pris dans le blizzard des Cairngorms) ou brûlantes (lorsqu’il crapahutait en plein désert de Tabernas)… Dans la forêt de Bialowieza, il a guetté les loups, vu les derniers bisons européens (sous forme de carcasses dévorées par des prédateurs). Par moments, c’est la météorologie ou la géologie qui lui ont permis de mieux sentir et voir ; à d’autres, les mythologies locales ou des informations sur les événements des siècles passés.

Un pas après l’autre, de nuits à la belle étoile en nuits dans des bothies perdus, Hunt médite, savant et sensible, et rend tout passionnant ; une grotte paléolithique, les troupeaux de rennes en liberté à Glen More, les dieux slaves de la forêt, les éco-activistes, des archers à cheval, les éboulis rocheux…

Un palmier en Arctique, de Nick Hunt : l'Europe sauvage

Il se montre un merveilleux guide de ces extraordinaires confettis sauvages que l’Europe cache dans ses replis et dont nous n’avions aucune idée. Mais la belle et agréable surprise qu’il nous procure en nous les présentant s’accompagne d’une douloureuse contrepartie, l’angoisse qu’il crée en suggérant, sans pathos, tout ce que nous allons perdre. Il n’est pas le premier écrivain de la nature et du voyage à nous le rappeler mais il est l’un des meilleurs parce qu’il choisit des exemples frappants, parce qu’il a la voix qu’il faut pour dire ce qui, sur la planète, a déjà été irrémédiablement saccagé, et pour laisser entendre ce qui va l’être encore, c’est-à-dire presque tout de ce qu’il y a de « wild and free » (et donc de « plus beau » pour Hunt comme pour Thoreau, un auteur qu’il ne cite pas mais qui bien sûr l’inspire). Adieu aux animaux, glaciers, forêts, steppes herbeuses…

Alors, comment faire face à la détresse écologique qui nous étreint ? L’appeler « solastalgie », comme Hunt signale qu’on l’a récemment baptisée, par goût désolant de l’étiquetage ? Ou se trouver des rituels de deuils ? L’auteur nous apprend, en effet, que, faute de pouvoir arrêter l’extinction générale du « sauvage et beau », certains ont décidé de pleurer sa disparition (et sans doute aussi, soyons juste, de manifester sur le plan éco-politique). Ainsi existe-t-il aujourd’hui une cérémonie de deuil pour les glaciers. Un coup d’œil sur le net nous informe que la première s’est déroulée en Islande en 2019 pour l’Okjökull, déclaré « mort » suivant des critères glaciologiques précis. Sa disparition « officielle » donna lieu à une veillée en présence d’une centaine de personnes dont la Première ministre de l’époque et s’accompagna de discours, de lectures de poèmes ainsi que de la pose d’une plaque commémorative. Depuis, de par le monde, bien d’autres offices des ténèbres ont été célébrés…

Un palmier en Arctique, de Nick Hunt : l'Europe sauvage

Les Cairngorms, dans les Highlands (Écosse) © CC3.0/Oliver Arend

Hunt, à la dernière page du livre, trouve un petit motif de réjouissance. Le Sphinx des Cairngorms, minuscule plaque de glace et unique reliquat gelé permanent de toutes les îles britanniques, serait réapparu, contrairement aux prévisions des observatoires de montagnes écossais qui gardent depuis des décennies l’œil sur sa décroissance. Comme il est content, notre Hunt ! Las, sa remarque date de 2018. Il est plus que probable que le Sphinx (qui ne faisait plus à l’été 2017 que quelques mètres carrés de surface) n’aura pas résisté aux dernières canicules. Reste à savoir si Nicola Sturgeon se rendra à ses obsèques (avec Liz Truss).

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