Suspense (47)
« Les nouvelles technologies permettent anonymat et confidentialité complète et également une surveillance totale, ce qui fait de 1984 un scénario optimiste », déclare Julita, l’héroïne journaliste de Tu sais qui du Polonais Jakub Szamałek.
Jakub Szamałek, Tu sais qui. Trad. du polonais par Kamil Barbarski. Metailié, 448 p., 23 €
Déclaration sans originalité mais qui décrit bien une des préoccupations du livre. Voilà qui ne devrait toutefois pas empêcher de lire ce polar, par ailleurs peu sentencieux et gentiment ironique, dans lequel Julita, pour mener son enquête, doit se colleter aux aspects les plus cachés et criminels du Net. Oublions donc que « Nous en tant que société devons répondre à la question de savoir quelle valeur nous attribuons à la vie privée. Et quel prix nous sommes prêts à payer pour cela », autre réflexion de l’héroïne, et distrayons-nous.
Julita travaille pour Meganews.pl, un site d’information en ligne (entendez : un tabloïd du Net spécialisé dans les articles à sensation). Son but, si elle veut gagner un peu plus d’argent et accéder un jour au statut de journaliste vedette, est de trouver et de rédiger le sujet le plus « cliquable » possible, celui qui aura droit au rouge le plus rouge de la heatmap du site.
Lorsque Ryszard Buczek, qui dirige une émission télévisée pour enfants, est tué dans un accident de voiture, Julita a le sentiment que le sujet est hot et publie aussitôt un article racoleur, rapidement très liké. Les choses deviennent hotter lorsque, voulant exploiter à fond le filon Buczek, elle commence à subodorer que la mort de l’animateur est due à un acte criminel. Elle décide d’en savoir plus et en découvre suffisamment pour agacer les autorités et un certain « Tusaisqui » qui lui intime, via sa messagerie, de cesser ses recherches et ses « posts ». Comme elle refuse, il inonde alors les réseaux sociaux et les imprimantes de son employeur de photos d’elle compromettantes. Elle est virée mais continue l’enquête, aidée, entre autres, par un génie de l’informatique mal embouché, Jan Tran. La mort de Buczek est bien un assassinat : quelqu’un a pris à distance le contrôle du système de guidage électronique de sa voiture. Buczek n’est pas qui il semblait être, Jan Tran non plus, un curieux procureur entre en scène, Julita se montre plus intrépide qu’il ne faudrait, etc.
Le roman contient ce qu’il faut de péripéties, de déguisements, de suspense, de personnages secondaires bizarres ou sympathiques… Il contient surtout beaucoup de moments où les téléphones se déclenchent seuls, les écrans font apparaître des messages venus d’on ne sait où, des conversations cryptées s’engagent entre interlocuteurs mystérieux… Les machines apparaissent comme plus monstrueuses (même si nous savons qu’elles n’agissent pas seules) que les monstres dont nous avons l’habitude : loups-garous, fantômes, serial killers, gangsters, politiques véreux ou mafieux… Elles peuvent à loisir violer notre intimité, détruire notre réputation, voler notre argent, mettre un terme à notre existence. Mais, dans Tu sais qui, l’auteur ne se contente pas de décrire les effets (possibles) des systèmes de hacking, il prend aussi plaisir à nous expliquer leur fonctionnement technique.
Pourtant, peu d’entre nous rêvent de leçons sur les cybermécanismes du spearfishing, du vol d’identité, de l’extorsion, activités pratiquées sur le Dark Web comme sur celui qui ne l’est pas, à côté d’autres semble-t-il louables (cf. les révélations de Julian Assange). À tort, car les aventures cybernétiques de Julita, Jan et compagnie nous permettent de bénéficier d’intrigants petits cours d’informatique (à condition d’en sauter quelques moments un peu rasoir). Ils nous donnent, à nous élèves lecteurs, l’impression de tout comprendre et le désir de nous transformer en héros capables de déjouer les menées de puissances cachées et destructrices. Suivons les indications de Jan ! Avec trois ou quatre ordinateurs personnels différents, des mots de passe à gogo, quelques nuits de pianotage, un bon coussin, des litres de collyre, du flair cryptographique et de l’obstination, clic clic clic… Le tour est joué.
Certes, la gousse d’ail et le crucifix, c’était moins compliqué, mais les temps changent, et Tu sais qui nous entraine dans un bal virevoltant, non de vampires mais de nouvelles technologies informatiques. Délétère et cybernétique à souhait !