Le Magasin du XIXe siècle, Mémoires en jeu et Sensibilités abordent les sciences sociales, l’histoire en particulier, d’une manière très ouverte, décloisonnée, généreuse. On y découvre des réflexions savantes, érudites, scientifiques, partagées en revue d’une manière accueillante.
Entretien avec Le Magasin du XIXe siècle
Pourquoi ce nom ?
C’est une idée de José-Luis Diaz, infatigable et inventif directeur de la publication depuis onze ans qu’elle existe. La revue part de l’idée du mariage à tenter entre les « magazines » littéraires d’aujourd’hui et le célèbre Magasin pittoresque. D’où les choix formels : maquette très esthétique, format 20/25, page à double colonne, illustrations au trait, titrologie soignée, ethos se partageant également entre analyse universitaire et journalisme. Cette carte « magasin » est devenue notre marque de fabrique : des articles plus vifs, avec peu ou pas de notes. Beaucoup d’illustrations d’époque, pour faire XIXe siècle mais aussi pour faire rêver. Une couverture élégante est pour beaucoup dans l’aspect « livre de Noël » des numéros. Et pas seulement des articles, accélérés et plus amènes ; mais aussi des rubriques dans l’esprit magasin/magazine : une chronique, des archives (sous la houlette du célèbre historien Jean-Claude Yon), un florilège, une rubrique dédiée à l’intime (chapeautée par Brigitte Diaz), une exploration, grâce au cicérone François Kerlouégan, des hauts lieux et bas-fonds dix-neuviémistes. Une substantielle rubrique culturelle repensée et rebaptisée (« Le XIXe siècle s’affiche », dirigée par Mathilde Labé), qui cadastre les expositions, les films et séries, les romans et spectacles qui convoquent le XIXe siècle. De Houellebecq à Podalydès en passant par Lydie Salvayre, un invité de marque pris parmi les écrivains, philosophes, artistes, intellectuels, à qui nous souhaitons faire dire, sous forme d’interview à la Huret, ou de toute autre forme qui paraîtra convenir, « Leur XIXe siècle ».
Vous êtes une revue d’historiens (de la période, de l’art, de la littérature…) qui paraît une fois l’an. Votre travail est très sérieux mais semble refuser les canons des revues académiques. Pourquoi cette évidente ouverture ?
Pourquoi ne pas essayer de parler « à tout le monde », comme le voulait le Magasin pittoresque, en son premier numéro de 1833 ? Tout donc, dans le choix des rubriques, des contributeurs et des sujets des dossiers, a été fait pour tenter de montrer l’actualité du XIXe siècle dans la culture contemporaine. Nous avons étudié le rêve américain du XIXe dans notre sixième numéro, « America », souligné la naissance dix-neuviémiste de la BD dans le numéro suivant, « Et la BD fut ! », entendu l’écho des buzz et du star system de l’époque dans « La Machine à gloire » (n° 8), traqué les prémices de la mondialisation dans le n° 9, « Cosmopolis », montré que le XIXe siècle vit aussi à l’heure des « Réseaux » dans notre dixième opus, prouvé qu’il est déjà très branché « zéro déchet » dans le suivant, « L’Art de la récup’ »… Pour notre numéro qui sortira en novembre, c’est le sujet de la fête qui a été retenu.
La revue permet-elle aux historiens d’envisager leur travail autrement ? Et de toucher un autre public ?
L’objectif de cette revue est de restituer l’effervescence créatrice du XIXe siècle dans tous les domaines (littéraire, artistique, philosophique, politique, scientifique…), en en montrant l’impact sur la culture et le monde actuels. Élaboré par des universitaires membres de la SERD, Le Magasin du XIXe siècle s’adresse cependant à un public plus large : son but est de lui faciliter l’accès aux perspectives de la recherche en sciences humaines, et de renouveler l’intérêt pour la culture propre au XIXe siècle grâce à des articles vifs, privilégiant l’actualité de la réflexion et la transdisciplinarité.
Plus d’informations sur la revue Le Magasin du XIXe siècle en suivant ce lien.
Entretien avec Mémoires en jeu
Les questions mémorielles semblent vraiment centrales aujourd’hui. Comment et pourquoi avez-vous créé Mémoires en jeu ?
Partant du double constat de l’importance prise par ces questions et de la tendance forte à en cloisonner l’approche, de façon très disciplinaire et souvent emblématisée par des personnalités, Mémoires en jeu travaille à l’inverse. Elle œuvre pour un décloisonnement et une mise en convergence des différentes réflexions sur les nombreux sujets mémoriels de notre temps. De même que, d’un point de vue littéraire, c’est une erreur de circonscrire les expressions testimoniales dans des genres et des catégories hermétiques – comme certains chercheurs s’y emploient –, de même, les questions mémorielles ne sont pas réservées à tel ou tel secteur des sciences humaines, sociales ou cognitives, et encore moins à tel réseau. Mémoires en jeu est une sorte de permanent work in progress qui la situe entre la réalisation accomplie à chaque parution papier (son numéro 17 sort pour le Salon de la revue) ou en ligne et, à la fois, un projet toujours tendu vers ce qu’elle devrait être pour considérer avec justesse les questions de mémoire de notre temps. Il y a là un pari qui a une portée éminemment critique, plutôt insécurisante. Mais penser pour se rassurer n’est pas penser, quelle que soit l’époque.
Vous qualifiez votre revue d’« hybride ». Qu’entendez-vous par là ?
Précisément, si elle est « hybride » c’est parce que, au-delà de sa volonté de décloisonnement à l’intérieur du champ universitaire, Mémoires en jeu cherche à établir des ponts avec les enseignements secondaire et primaire, et avec des secteurs culturels directement en prise avec la société. Hybride, elle aborde les questions mémorielles à plusieurs niveaux, pas nécessairement scientifiques. Cet ancrage dans la société est, à nos yeux, la meilleure façon, sans œcuménisme aucun, de s’opposer aux formes réactionnaires de contre-mémoires ultraconservatrices et d’extrême droite qui menacent la démocratie.
Vous alliez le sérieux de la recherche et une forme assez peu académique, ouverte, très illustrée. Pourquoi ? Et comment la revue est-elle perçue ?
La revue est perçue comme un objet atypique et elle ne se fait pas sa place facilement. Même si elle n’a pas d’équivalent. Quant à la présence importante de l’iconographie, que l’on veut riche et non réduite à l’illustration, c’est que la mémoire elle-même engage à s’interroger sur les modes de représentation imaginaire ou symbolique du réel et, notamment, du passé.
Plus d’informations sur la revue Mémoires en jeu en suivant ce lien.
Entretien avec Sensibilités
Faire une revue de sciences humaines très ouverte qui porte le titre de Sensibilités, ce n’est pas anodin. Pourquoi ce choix, que porte ce titre ?
Sensibilités est une revue de sciences humaines et sociales, ancrée dans la recherche scientifique, mais qui répond à des questionnements contemporains en assumant l’écart, le détour et la surprise. Le sensible recouvre des domaines – désirs, émotions, sentiments… – souvent perçus comme mineurs, prétendument cantonnés à nos seules existences individuelles : ils s’avèrent pourtant décisifs pour l’intelligence de nos sociétés. Chaque numéro apporte ainsi un regard critique et une profondeur à des objets souvent naturalisés : d’abord la maison, le rêve, ou l’intime ; puis l’argent, la mort, et le politique ; demain, la nature, la race, ou encore la fête…
Ne consiste-t-elle pas en une sorte de laboratoire ? Pour dire des enjeux et des questions complexes sous une forme différente ?
Sensibilités se pense, il est vrai, comme un lieu d’expériences et de constructions souvent étonnantes. Un atelier où oser et risquer, que ce soit dans le contenu ou la forme. La revue comprend quatre rubriques qui correspondent chacune à des objets et angles d’approche différents : des articles de « Recherche » plus classiques ; des « Expériences » d’écriture et de dessin, où la page devient un espace d’intervention ; une « Dispute » autour d’un texte ou d’un débat majeur ; et un « Comment ça s’écrit », conçu pour entrer cette fois dans l’atelier de chercheurs et les y observer s’attelant à l’écriture. Ces rubriques ne sont pas des cases à remplir, mais des invitations. L’essentiel est qu’au sein de chaque numéro le propos soit incarné, dynamique et vivant.
Sensibilités confronte, fait se rencontrer des modalités de recherches et de formes. Comment concevez-vous la recherche en revue ? Et pour qui ?
La recherche est, en effet, confrontation et rencontre – surtout lorsqu’elle se pratique au sein d’une revue. Chaque numéro de Sensibilités est pensé par le comité de rédaction en collaboration avec le comité scientifique, puis porté par un groupe de coordination plus restreint. La conception graphique est une étape décisive : il ne s’agit pas simplement d’habiller les articles, mais d’instaurer, avec notre graphiste, un dialogue texte-image capable de rendre compte de la vie sensorielle par des formes visuelles. La matérialité même de la revue, son papier, sa couleur, son grain, lui donnent son allure distinctive – son identité « Anamosa », de notre maison d’édition courageuse et inventive.