Ukraine
Ce volume, Hommage à l’Ukraine, dirigé par Iryna Dmytrychyn et Emmanuel Ruben, rassemble des textes, tous inédits, de quatorze auteurs répondant à cette demande : raconter leur Ukraine. La contrainte principale, outre celle du calendrier éditorial, était, explique Emmanuel Ruben dans la préface du volume, de décrire un lieu, « un lieu symbolique de l’Ukraine et donc de la nouvelle Europe en train de naître dans la douleur ».
Iryna Dmytrychyn et Emmanuel Ruben (dir.), Hommage à l’Ukraine. Stock, coll. « La Cosmopolite », 288 p., 21,50 €
C’est bien sûr le début de la guerre, l’invasion par les Russes du territoire ukrainien le 24 février 2022, qui a fait naître cette initiative. Iryna Dmytrychyn et Emmanuel Ruben permettent de donner aux lecteurs français une carte d’un pays que certains pouvaient se représenter d’une manière assez imprécise. Non pas une carte géographique comme celle qui figure au tout début du recueil, et qui ouvre aussi les actualités chaque jour, mais une carte poétique, symbolique, historique.
En effet, en lisant ces textes d’auteurs qui sont, c’est important de le préciser, âgés de trente-quatre à soixante-douze ans, le lecteur voyage entre une datcha, désormais « enfoncée dans le brouillard de l’inconnu », comme l’écrit Taïs Zolotkovska, un village englouti par la construction d’un barrage sur le Dniestr, dont on peut contempler les eaux tranquilles, Bakota, datant de la période mongole, évoqué par Kateryna Babkina, ou encore Trakhtemyrivn, une presqu’île des rives du Dniepr, près de Kaniv, à laquelle Lyubko Deresh consacre un texte, « pour l’Ukraine une sorte d’Atlantide qui aurait sombré pour toujours, laissant derrière elle la petite butte témoin et déserte d’un continent autrefois vaste et densément peuplé ».
Car Trakhtemyrivn est aussi un territoire englouti par la construction d’une centrale hydroélectrique (vingt villages quasiment ont été envahis par les eaux, et tous leurs vestiges lors de la construction de plusieurs centrales hydroélectriques et barrages), une Atlandide qui peut représenter toutes les amitiés perdues, entre étudiants russes et étudiants ukrainiens, qui ont « sombré avec les villages autrefois engloutis par le pouvoir soviétique. Sombré avec les enfants tués par les missiles russes. Sombré avec les femmes ukrainiennes violées par les soldats russes. Sombré avec tout le “monde russe” autrefois présent en Ukraine ». Le poète Boris Khersonsky atteint avec la force qu’on lui connaît le lecteur dans deux textes, « Déflagration 1 » et « Déflagration 2 » : « La frappe est directe, / Le son a disparu, / La pellicule devient muette, / Il faut courir, mais où ? / Sans laisser de traces derrière nous. »
Presque tous les textes de ce volume évoquent l’oubli, l’effacement, l’engloutissement. C’est un peuple menacé de disparition qui apparaît par le biais de ces lieux, que les écrivains peuvent faire exister malgré la guerre et malgré la menace perpétuelle de l’anéantissement. Les mots sont à la fois dérisoires et indestructibles, tout comme certains villages, celui évoqué par exemple par Andreï Kourkov, Lazarivska, découvert en 2001 alors que l’écrivain et sa famille cherchaient un lieu de villégiature. L’histoire de ce lieu retracée par le romancier témoigne de la manière dont les espaces deviennent des paradis, que l’on voudrait ne jamais perdre, grâce à l’intérêt et à l’amour qu’on leur porte. Ce « cul-de-sac », moribond dans les années 1980, « vit et fructifie » et, écrit Kourkov, « forcément bientôt nous y reviendrons ». C’est sur cette note d’espoir que se clôt ce volume et c’est comme une mémoire conjuguée au futur que nous sommes amenés à lire grâce à ces textes.