Dans ses éditoriaux, son « Journal en public » ou ailleurs, Maurice Nadeau n’omettait pas de parler des liens qui l’unissaient à des collaborateurs de La Quinzaine littéraire, à des amis, comme Jean José Marchand (1920-2011) ou Pascal Pia (1903-1979).
J’entre dans ce troisième volume par l’un des index. Je retrouve les écrivains que Nadeau a édités, défendus, promus : Miller, Leiris, Sarraute, Simon. Je lis les noms de Rousset, Naville, Bensaïd et Plenel. Plus tard, encore une fois par attachement à Trotski l’exilé, le pourchassé, le bel article que Nadeau consacre à Kampuchéa de Patrick Deville. Deville est l’un des rares contemporains (de la génération débutant vers 1985) dont il parle. Nadeau a connu et édité Lowry, l’une des références du jeune auteur du cycle « Abracadabra ». Il s’adresse à lui dans ce « Journal en public », tout en liberté, en digressions et liens.
Liens : c’est le mot que je veux garder en songeant à Maurice Nadeau. Journal en public est un livre d’Elio Vittorini, l’ami italien. De nombreux articles lui sont consacrés dans le premier tome de ces années de journalisme littéraire. La relation avec l’Italie sera constante, avec Sciascia le Sicilien, avec Magris, le Triestin, deux habitants des îles à leur façon.
Et puis il y a deux amis, Pascal Pia et Jean José Marchand. Ce qu’il écrit du premier dans Grâces leur soient rendues est magnifique, et par certains côtés bouleversant. Pia est un érudit, spécialiste entre autres de Baudelaire et d’Apollinaire. Il est l’auteur de supercheries littéraires qui ont provoqué des brouilles. C’est, malgré lui, un grand journaliste et surtout un homme libre. Après avoir écrit dans Ce soir, fait venir Camus à Combat, il assume le feuilleton critique de Carrefour, un journal proche des gaullistes à une époque où, ma foi… Il ne se réclame d’aucun bord politique, en un temps où les opinions sont tranchées. Il est anarchiste, assez misanthrope et fidèle aux amis, sensible jusqu’aux larmes : « Il y avait loin de ce mépris pour l’espèce à la délicatesse infinie qu’il mettait dans ses rapports avec les amis », écrit Nadeau dans Grâces leur soient rendues.
Pia aime le music-hall et préfère le concert Pacras ou les Deux-Ânes au théâtre où il s’ennuie, il pleure de rire en écoutant les sketchs de Fernand Raynaud, voire « les âneries des chansonniers du boulevard ». Le 1er janvier 1981, Nadeau lui consacre une page dans la rubrique « Disparitions ». L’article paraît plus d’un an après le décès : « Il avait interdit à quelques-uns de ses amis proches tout commentaire public sur sa disparition. Ce vœu a été respecté. Il ne nous avait pas demandé de l’oublier. Comment l’aurait-il pu, lui qui avait le culte de l’amitié ? Comment pourrions-nous taire ce qu’il avait été pour nous ? » Et Maurice de nommer tous ceux qui ont été liés à Pia, qui l’ont accompagné dans les divers moments de ce qui ne fut pas, à proprement parler, une carrière. Ce mot ronfle trop pour lui. Parmi eux, Jean José Marchand. Il a écrit une biographie de Pia.
Il a été l’autre ami de Maurice, celui qui feuilletait les livres, qui les humait dans le bureau de Marguerite Nowak, à la Quinzaine. Maurice lui rend hommage : « Depuis deux ou trois ans tu nous as fait le plaisir d’assister aux comités de rédaction de La Quinzaine littéraire. Tu n’as pas voulu en être noir sur blanc de ces comités. Simplement y assister pour mettre ton grain de sel, poser une question incongrue, raconter une histoire dont on n’a que faire, ou peut-être faire preuve de ton érudition, et j’avoue que tu m’agaçais parfois, ne serait-ce que parce que nos amis rédacteurs s’intéressaient plus à toi qu’aux livres qu’ils se chargeaient de recenser ». Acteur et témoin de ces moments, je ne démens pas ce propos. Je regrette de n’avoir pas été assez agacé.