Michel Ménaché est un critique littéraire très actif, notamment dans la revue Europe, mais il est d’abord et avant tout un écrivain et un poète, avec une trentaine d’ouvrage, auxquels s’ajoutent une quarantaine de livres d’artistes. Depuis quelques années, il a entrepris de réunir ses œuvres poétiques en plusieurs volumes. Le premier a été publié en 2018 sous le titre La paume des jours. L’alphabet des sources, qui a paru récemment, lui fait suite chez le même éditeur.
Michel Ménaché, Œuvres poétiques. L’alphabet des sources. La rumeur libre, 336 p., 20 €
Ce livre rassemble neuf recueils qui ont été publiés au fil du temps, entre 1966 et 1990. S’ils révèlent la sensibilité d’un poète, ils sont aussi le reflet d’une époque. Ainsi, on ne sera pas étonné que les premiers textes, ceux de Pavés et fenêtres, écrits juste avant Mai 68, alternent poèmes d’amour et de révolte : « Pavés sont de colère/fenêtres sont d’amour », écrit-il. Michel Ménaché n’aurait pas été de son temps s’il ne s’était inscrit, à sa manière, dans les mouvements de contestation à l’œuvre, dans ces années-là, contre « les vents de tyrannie » qui secouaient la planète et qui d’ailleurs continuent de souffler. Mais c’est dans les poèmes d’amour qu’il trouve sa plus belle voix, lyrique comme il se doit – et comme d’autres avant lui, Paul Éluard, Jean Malrieu, André Breton, Joyce Mansour… –, où les yeux de l’amante sont « des myrtilles enchâssées de lavande ». Cette poésie, dont on pourrait croire qu’elle est arbitraire, répond assez précisément à ce qu’écrivait jadis Pierre Reverdy : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. »
Ce qu’on ne comprend pas toujours aujourd’hui, c’est qu’il y a une justesse du lyrisme. Loin d’être gratuites, les images apparemment excessives évoquent cette sorte d’abondance du désir dans l’amour et en sont donc une expression authentique. Quel poète n’a connu ce vertige où le verbe s’affole ? L’imaginaire érotique de Ménaché révèle ainsi de mystérieuses correspondances entre un visage de femme et un verger, une forêt, un sentier, un désert ; et que « trois framboises » font une bouche. Cet auteur, du moins dans ses poèmes d’amour, porte un regard étonné et émerveillé sur le monde où « les vitres ont des éclats de rêve », ce qui donne à son écriture une légèreté et une fraîcheur de source, comme d’ailleurs le titre du livre le laisse entendre. Il s’appuie souvent sur l’anaphore pour relancer l’écho de vers en vers en un rythme musical, ses poèmes prenant parfois des allures de comptine :
« J’ai dans la peau tant de poèmes
celui de l’eau celui du feu
celui de ta main dans la mienne
j’ai dans le cœur j’ai dans la lune
tant de poèmes ivres de mer
dans un violon dans une flûte
dans tes cheveux dans un bouquet
tant de poèmes sur nos lèvres
celui de l’eau celui du feu
celui de ta main dans la mienne
j’ai dans les doigts j’ai dans le souffle
dans les nuages dans la forêt
tant de poèmes fous de ta chair… »
Au début des années 1980, s’inspirant de Francis Ponge et d’Eugène Guillevic qu’il a découverts vers 1960, c’est une sorte de lyrisme du quotidien qui caractérise la poésie de Michel Ménaché. L’influence de Ponge se fait surtout sentir dans Fable des matières (1981-1983), où il met en scène des objets, tels que la salière, la toupie, l’aspirateur, la gomme, le cirage, la colle ou la crème à raser : « Une noisette de crème sur la touffe du blaireau gorgée de gouttes tièdes suffit à faire surgir un paysage-masque cotonneux de caressants cumulo-nimbus… » Cependant, il y a une différence d’approche : Ponge, dans Le parti pris des choses, construit son « objet littéraire » entre la définition et la description et utilise la prose, avec l’humour qui s’impose, alors que Ménaché choisit le plus souvent la forme du poème pour exprimer, à partir des objets, une fable, avec sa part de rêve. À lire l’un de ses haïkus, « Dans la jungle des mots/le cri de l’animal/féconde le poème », on se demande si le pari de ce poète n’est pas de faire entrer la réalité dans la subjectivité.
L’un des derniers recueils repris dans ce livre, Claquemuraille, revêt des allures d’expérimentation formelle, du moins dans quelques poèmes, par une certaine utilisation de l’espace de la page visant à dessiner des figures. Mille sujets y sont prétexte à écrire : des peintres (André Masson, François-Victor Mamet…), des sculptures (musée Rodin) des gravures, des villes (sur Lausanne, l’Ardèche), des poètes (Cendrars), des portraits (Louise Labé), des hommages (Fernando Almeida). Tout peut devenir poésie : c’est l’émotion qui décide.
Michel Ménaché n’écrit jamais le même livre. Le poème jaillit selon l’inspiration du moment, qui peut être d’amour, de colère, d’admiration, de tristesse, de joie ou de tout autre sentiment. Comme l’écrit sa préfacière, Mireille Calle-Gruber : « C’est sa noblesse à Michel Ménaché que ses audaces de poète qui n’excluent rien, s’autorisent le mélange de tons et de styles, ne ferment pas la porte à l’inconnu, ne concluent jamais. Pas de clef aux poèmes, pas de double tour si ce n’est celui de la prosodie qui scande rimes et rythmes… »