« Je note en bâillant une alternance d’espaces désertiques et de champs cultivés. Je note… en fait, plus envie de noter quand la nuit tombe. Ni les visages, ni les paysages, ni le vide de mon esprit ne présentent le moindre intérêt. La curiosité devient une foutaise. À quoi bon ces terres à traverser, à quoi bon un nouvel océan ? Plus rien n’a de sens. » Ce coup de blues saisit Olivier Germain-Thomas dans un car Greyhound roulant entre le Nouveau-Mexique et le Texas : c’est que le sentiment géographique peut être intermittent devant certains spectacles ! Le globe-trotter en quête de sacré est dégoûté, passagèrement, des ordinary landscapes « made in USA ». Il a quitté les terres amérindiennes de l’Ouest et se dirige vers les réserves spirituelles afro-américaines et martin-luthériennes du vieux Sud.
Olivier Germain-Thomas, Du Fuji à l’Athos par l’Amérique. Gallimard, coll. « Le sentiment géographique », 240 p., 19 €
La traversée de l’Amérique est la plus longue séquence rapportée de ce tour du monde quasi vernien par navires, trains et routes, sans recours aérien. Apparaissent, en filigrane, des épisodes de trips antérieurs ; cette tension entre les expériences d’hier et celles du présent constitue le motif essentiel de l’essai d’Olivier Germain-Thomas.
La permanence des lieux, hauts topographiquement et symboliquement, suscite-t-elle encore chez le voyageur senior les mêmes émotions et sentiments que celles éprouvées lors de leurs découvertes juvéniles ? Le sacré du monde est-il usé, érodé par le surbooking du tourisme ? La pandémie de covid, ici mentionnée, a évité, momentanément, au mont Athos un afflux profane.
Olivier Germain-Thomas n’envisage pas le sacré comme celui d’une religion particulière. Son parcours croise le bouddhisme, le shintoïsme, le taoïsme, l’hindouisme, l’animisme, le christianisme (orthodoxe). « Sans oublier l’Orient musulman », note le voyageur, qui évite donc son Occident turbulent. Il est attentif à la relation des lieux et du religieux, mais le sens du voyage est différent d’un pèlerinage motivé par la quête d’un seul sacré. Il rend visite à des lieux de référence du sacré, dont la vitalité a pu être affectée par la sécularisation globale.
Autopsie ? Au terme de son Odyssée, le voyageur garde quelques provisions pour le reste de son âge : « Voici un demi-siècle, je suis allé vers l’Inde ou au Japon chercher d’autres manières de vivre l’Absolu, et susceptibles de régénérer nos religions déprimées. Malgré le bazar du new-age, je persiste : pour de multiples raisons, les spiritualités orientales pratiquées avec exigence apportent un ferment stimulant sans détruire les bases. »
Le périple est scandé par la rencontre ou l’apparition de figures féminines, des sirènes, mais aussi Amaterasu, la déesse-mère du Japon, la Vierge Marie ou Marilyn M., dans un motel de la route 66. L’accompagnement littéraire est riche, en exergue ou en citation. Parmi les voyageurs sollicités et antérieurs : « Évidence, croiser le souvenir de Jack Kerouac tandis que se déroule la route conquérante étendue de poussière et apte aux rencontres ». Plus loin, far east, c’est François-René : « Mila, personnage d’une troublante rareté ! Chez cette jeune fille (seize ans) de la tribu des Natchez vibre le mouvement le plus pur de la vie. » Le sentiment géographique retrouve sa source dans la bibliothèque.
Via Google Earth, le lecteur sédentaire piste avec retard le globe-trotter et trouve sur le site océanique MarineTraffic le porte-container de la CMA-CGM Christophe Colomb, sur lequel l’auteur traverse le Pacifique. Perplexe, il se demande dans lequel des 14 000 containers de ce « monstre des mers » (tel que le désigne Olivier Germain-Thomas) se terre le sacré…