Pierre Perrin, qu’il ne faut pas confondre avec l’auteur-compositeur-interprète du même nom, est poète, romancier et critique littéraire, ayant collaboré notamment à la Nouvelle Revue française et à Poésie 1/vagabondages. Il a été lauréat, en 1996, du prix Kowalski pour son recueil La vie crépusculaire. Par ailleurs, il a dirigé les revues La Bartavelle et Possibles, cette dernière interrompue et relancée sous forme numérique en 2015, puis depuis quelque temps sous forme papier.
Pierre Perrin, Des jours de pleine terre. Al Manar, 170 p., 23 €
Divisé en cinq parties qui suggèrent différentes approches de lecture mais qui ne sont pas cloisonnées et respirent la vie, Des jours de pleine terre est un choix rigoureux de poèmes écrits entre 1969 et 2022. Certains ont été publiés en revue, d’autres en recueil, mais ils ont été méticuleusement revisités pour cette édition. Il y a tout un aspect autobiographique, mais avec cette particularité qu’il se traduit en poèmes, des poèmes qui ont toutefois la saveur de la prose et se donnent à lire aussi comme un récit vertical. Ce serait mal connaître ce poète que de voir là un artifice. S’il choisit de se raconter sous cette forme, c’est que Pierre Perrin pense que la poésie est le mieux à même d’exprimer pleinement l’émotion de certains moments vécus, dans ce qu’ils peuvent avoir parfois d’excessif, tout en la canalisant, lui faisant jouer ainsi parfaitement, comme dans la tragédie antique, son rôle de catharsis, si important pour cet écrivain qui attend de la langue un pouvoir libérateur.
Dans la première section, l’auteur évoque son enfance à la ferme familiale, avec ses « odeurs de choux, d’ail et de lard grillé », l’étable qui jouxte la cuisine, les rats, la pauvreté, la honte, les premiers éveils à la sexualité, et tous ces actes de cruauté qui marquent l’enfant comme autant de drames. Chien abattu « car il mange trop », chatons tués « à coups de fourche », ou encore : « Tendres rapaces pris au piège, roués de coups, / Démembrés, parfois cloués vifs, votre incrédulité, / Vos tremblements, vos râles ne quittent pas mes veines ».
Les pages évoquant les plaisirs charnels et les amours perdus sont descriptives, d’une précision étonnante dans l’érotisme, allant jusqu’à restituer les odeurs, comme s’il fallait faire revenir par les mots celle qui est partie pour toujours. Il y a une vieille blessure que le poète porte en lui depuis l’enfance et qui ne guérira jamais tout à fait, malgré le baume des mots, et jamais vraiment dite, mais que l’on devine dans le secret de l’être.
La partie intitulée « De notre monde sans tain » porte un regard sans concession sur une époque et ses hypocrisies, ses lâchetés, les droits de l’Homme sans cesse bafoués, y compris dans les pays occidentaux, la guerre en Ukraine. Pierre Perrin évoque aussi, dans cette section, quelques belles figures d’écrivains et de poètes – René Guy Cadou, Jacques Réda, Jean Pérol – et le peintre Gustave Courbet auquel il a par ailleurs consacré un roman : Le modèle oublié. Il se dégage de la dernière partie, « À la lisière de la paix », une sorte de sagesse. Le bonheur d’écrire est là, sans réticence : « Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt, un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue qu’on peut l’être dans sa peau. Il n’écrit pas une leçon ni pour sauver quoi que ce soit ; l’oubli est partie intégrante de la vie ; il écrit pour le plaisir de donner, quand même la communication poétique reste solitaire. »
Pierre Perrin est un amoureux de la langue française. Il l’explore avec volupté, dans sa richesse et ses multiples nuances trop souvent inexploitées, ce qui donne à son œuvre, presque classique, une étonnante modernité face aux nouvelles vieilleries poétiques trop en vogue aujourd’hui. Pourquoi devrait-on maltraiter la langue, alors que dans une syntaxe quasiment traditionnelle on peut exprimer tout ce que l’on ressent ? Et pourquoi donc devrait-on avoir peur du lyrisme ? Ce poète-là, qui attend beaucoup de ses vrais lecteurs, cherche un ordre intérieur où la clarté domine, venant éclairer à la fois le sens d’une vie et d’une écriture, avec justesse et émotion. Dans son poème « L’atelier », il résume ainsi son art poétique :
« On a dégauchi, raboté, scié d’équerre, tenonné, mortaisé,
Mouluré le moins possible et longtemps épuré, poli.
Le tour de main n’est rien si la matière, la vie, ne le presse.
En littérature, la volonté ne peut que coiffer le hasard.
La vie, comme les vitraux des églises, se dévisage
De l’intérieur ; la décoction ne singe pas la décoration.
Tous les fards du monde ne valent pas une pupille.
Tout attachée à rester vivante, la rigueur respire.
Loin des Ravaillac et du micron d’âme, un cadeau
Fourré de tendresse est glissé de main à main nue.
Le livre sur la table, à la façon d’une longue lettre,
Le poète y est tout entier – si loin que soit le corps. »