Partout les autres est un livre d’anecdotes non anecdotiques, grâce à l’espièglerie de son auteur, David Thomas. Langue parlée, narration huilée, ton impertinent : l’auteur se moque de ses contemporains avec art et subtilité, imaginant une foultitude de microfictions, une collection d’instants insolites échappés de la réalité.
David Thomas, Partout les autres. L’Olivier, 208 p., 18 €
Dans un mouvement de légèreté et de rapidité, David Thomas lie des fragments épars de vies amoureuses, amicales ou professionnelles, dans un carambolage de rebondissements. Sont mis en scène des moments d’épiphanies, de rencontres déclinées une centaine de fois, qui créent un foisonnement de décors et de paysages mais aussi d’émotions et de tensions dramatiques. Les historiettes sur la littérature, les somnifères, les paris sportifs lubriques sont autant d’occasion d’entrecroiser de nombreux registres de langues et de styles d’énonciations. L’écriture reste sur une ligne de crête, qui évite toute monotonie à la lecture.
Chaque chapitre est une microfiction, construite autour d’un équilibre subtil entre comédie, satire et ironie corrosive, grâce à des phrases courtes et aiguisées. Écrites à la première personne, ces microfictions s’apparentent à des discussions à bâtons rompus. L’auteur y campe rapidement ses personnages au milieu d’un décor. Entre deux lignes, il suffit d’un rien pour que tout bascule. L’humour singulier de l’auteur se joue de ces retournements.
David Thomas ne s’attarde jamais sur la psychologie des personnages. Il préfère l’action, le détail ou l’instant qui révèle ses personnages. Il cherche cette fraction de seconde qui échappe et donne à lire l’humanité dans sa mauvaise foi sans faux-semblants. Il y traque les contradictions humaines, ce qu’il y a derrière les idéologies, les discours de façade. Cet ami, par exemple, « qui, il y a trois ans, a décidé de quitter la civilisation, de rompre avec la société de consommation et cette vaine course du rat qui ne mène qu’à de l’insatisfaction » : il fuit dans une forêt des Vosges pour finalement acheter un 4X4. Grâce à cette narration expéditive, la multiplication des saynètes donne au banal des allures d’extraordinaire.
Partout les autres se révèle être, plus qu’une grosse blague, une bulle d’air qui explose au visage. David Thomas y pose un regard léger, et en même temps transperçant, sur le monde contemporain. Loin d’être superficiel ou futile, ce recueil de nouvelles aide à retrouver l’impossible légèreté qui nous manque tant, en mettant, d’un trait d’esprit, à distance notre monde. Il le désacralise, comme quand il explique l’écriture d’un poème : « Il suffit d’aller à la ligne de temps en temps de virer la ponctuation et ça fait poème ». Sous l’apparente facétie, David Thomas pose des questions profondes, sur la littérature, les relations humaines ou notre finitude : « J’ai vu le moment où j’allais finir ma vie, comme on glisse sur une peau de kiwi ».
Son art consommé de la répartie et du trait d’esprit, du dialogue, apporte de la nuance aux rapports humains, pour notre plus grand bien : « ce n’est pas tant que le niveau du débat baisse, c’est que la nuance, la pertinence, la subtilité sont devenues inaudibles ». La force, et peut-être le défaut, de ce texte est que l’écriture de David Thomas s’inscrit en réalité dans un champ extrêmement politique : sa capacité à créer des narrations dans le présent où c’est à chacun de juger renvoie au lecteur la responsabilité de penser la situation. En somme, David Thomas nous propose des instants d’éternité, entre rire et larmes glissés dans un texte d’« Apache », qui a reçu le 11 mai dernier, et c’est tellement mérité, le prix Goncourt de la nouvelle 2023.