L’esprit de la lettre

Ce recueil d’articles de Nicolas Taffin autour de la typographie comme espace « intime et amical » constitue une manière singulière et joyeuse d’ouvrir les yeux du lecteur sur le livre et sa « texture ».


Nicolas Taffin, Typothérapie. Fragments d’une amitié typographique. C&F éditions, 272 p., 25 €


Typothérapie, vous avez dit ? Mais de quoi, et de qui s’agit-il ? De soigner les lettres ? De se soigner par les lettres ? Et qui se soigne ? Moi ? Vous ? Le lecteur ? Quel drôle de mot tout de même, qui se situe quelque part entre la psycho(thérapie) et la phyto(thérapie), l’inconscient et l’inconséquent, le sérieux et le facétieux. Mais laissons plutôt parler l’auteur, Nicolas Taffin, lequel est typographe et éditeur, ceci expliquant largement cela : « Pour ces raisons, nous nommons avec humour typothérapie une pratique évidemment fictive mais à l’indéniable potentiel de conscientisation et d’émancipation. Les bénéfices d’une telle cure sont nombreux : pérennisation de l’idéologie humaniste […], ouverture du regard, culture graphique, prise en compte des supports, des usages […] esprit critique, capacitation. Quelques effets indésirables sont aussi possibles : myopie provoquée par l’immersion dans la typographie, pinaillerie du correcteur, rêvasserie du calligrammeur… ».

Typothérapie, de Nicolas Taffin : l'esprit de la lettre

© C&F éditions

Revenons sur terre… On trouve de tout, et sur tout, dans Typothérapie : un propos sur les machines qui se continue en machineries et se termine en machinations, avec une intéressante digression sur la machine à écrire la loi de Kafka (La colonie pénitentiaire) ; un autre sur « l’al-pha-bet », résumé en un « moins on a de signes, plus on est les meilleurs » ; un autre encore sur le blanc de la page, « l’espace qu’on n’imprime pas » mais qui ne devient blanc qu’une fois qu’on l’a imprimé… toutes théories qui ont l’apparence du futile… en apparence seulement.

Car Typothérapie est moins un glossaire sur la lettre imprimée qu’une sorte d’herméneutique, jamais hermétique, sur l’esprit de cette même lettre. Moins un regard posé sur la beauté des formes qu’une tentative d’en saisir le fond, voire l’« universalité », quand bien même cette tentative confinerait parfois, souvent même, au loufoque. Derrière la lettre, donc, les lettres imprimées, ou plutôt en instance de l’être, comme le passage repéré, et répété, d’un voir à un lire. Il y a tous les univers dans cet espace naissant : l’infiniment petit et le non moins infiniment grand ; le masculin et son corollaire, le féminin, qui s’incarnent en deux lettres matrices, le I et le O ; le corps et l’âme encore, bref, ce qui pourrait s’appeler un « alphabet-monde » : « toute la littérature, toute la science, toute la poésie passée, présente et future. Même rêvée ». Faut-il ajouter que Nicolas Taffin est philosophe de formation ? Ceci expliquant amplement cela…

On ne saurait trop conseiller au lecteur amoureux de la lettre, et des livres qui vont avec, de méditer, à cet égard, certaines propositions de l’auteur, qui renverse la dialectique écrit/écran et prouve, en quelques paragraphes bien sentis, que « le papier est l’avenir de l’écran ». Ou alors de se reporter sans plus attendre à son Odyssée revue et quelque peu corrigée, avec Ulysse l’homme-glyphe, Circé et ses « deux signes dérobés », Pénélope encore, qui « coud comme une enfant » : « Dans le motif tu trouves le mot, tu le vois ? » Ancrage est encrage…

Typothérapie, de Nicolas Taffin : l'esprit de la lettre

© C&F éditions

Ce qui mènerait le lecteur tout droit à la fin de l’ouvrage, en une sorte d’obituaire où sont évoqués quelques hommes liges de la lettre auxquels Taffin rend… hommage : François Richaudeau, qui passa son existence quelque part entre la science et la culture, le sens et le sensible, Yves Perrousseaux, qui écrivit une Histoire de l’écriture typographique, Alain Rey, lexicographe entre les lexicographes, et, peut-être de manière plus surprenante (encore que…), Steve Jobs, « l’inventeur nomade avec son bagage philographique ».

Car il faut dire et redire et récrire une ultime fois que l’auteur de Typothérapie est semble-t-il allé à toutes les bonnes écoles et qu’il en a gardé un goût pour le divers au pluriel, le varié dans sa singularité, et aussi bien l’imaginaire du livre qui tient en un rien d’espace. Mais laissons le fin mot de la fin à l’auteur… Enfin presque : « Nul besoin de kilomètres de rayonnages, monsieur Borges : votre bibliothèque de Babel, c’est simplement la casse… »

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