C’est l’été. Le temps des cartes postales et des belles histoires d’amour. Sauf que les cartes postales se font de plus en plus rares, effacées par le numérique, les contacts directs dans les boucles WhatsApp, les blagues (ou méchancetés) sur Instagram. Quant aux histoires d’amour, on ne sait pas… C’est pourquoi deux artistes ont tenté de retrouver ces traditions perdues, mais sans mélancolie excessive. Elles ont composé à quatre mains un livre d’artiste de cartes postales détachables. Un « poème-photo », dit leur éditeur.
Elles ont préféré une certaine teinte d’humour. Valérie Mréjen, romancière et plasticienne, a choisi 37 cartes dans sa collection, des cartes qui datent à l’évidence de la grande époque du genre, quand le courrier et les vacances s’étaient démocratisés, étaient sortis des grandes correspondances à la Flaubert. Maintenant, c’est le règne des mots courts, des évocations anecdotiques, des bribes de phrases. Et c’est Annie Zadek, poétesse et auteure dramatique, qui est allée les prélever dans ses livres. Elle en a fait des confidences à la taille de la carte.
Comme au temps passé – ici certainement les années 1960 à en croire les automobiles et les bâtiments –, elles sont étalées aux yeux du facteur. Jadis écrites au dos, à gauche de l’adresse du destinataire, elles disaient tout, parfois des déclarations d’amour, ici elles traversent l’image de la carte comme des bandeaux publicitaires. Zadek et Mréjen se moquent un peu, ou du moins jouent avec cette époque que bien des gens ressassent aujourd’hui avec un grain de regret. Bon, ce sont aussi des anecdotes qui, au bout du compte, deviennent amusantes. Ainsi, sur une représentation appliquée d’une cathédrale en noir et blanc, il est écrit : « Le cauchemar du sac à main, du dé et de l’éventail : / je perds mon sac à main devant la cathédrale Saint Marc. » Suit un beau paysage montagnard, avec un lac et devant un troupeau de vaches qui se prélassent. Message : « – ce doit être un beau pays l’Autriche ! / – Vienne aussi, ce doit être beau. » On voyage en DS 19 rouge, dans un paysage de bord de mer apparemment inapproprié : « un circuit touristique vosgien propose la visite du Musée Oberlin / (pasteur humaniste apôtre du progrès social 1740-1826) / et celle du camp de concentration de Struthof ».
Si vous recherchez l’amour de carte postale du bon vieux temps, précipitez-vous sur ce succulent petit livre d’artiste.
Ces cartes tant regrettées, collectionnées ou évoquées dans les conversations du dimanche, nous réservent des surprises, à commencer par les amours au bord de l’eau. Ou plutôt au bord du lac, souvent au centre de l’image. Parfois une femme seule sur un canoë rouge au milieu d’une grande étendue d’eau sur fond de forêt de pin et de montagne lointaine, avec cette légende : « Garder, garder, garder, jeter. / Les cartes postales, les photos, les lettres d’amour, les dragées. » Immédiatement corrigée par ce regret d’un couple que l’on devine en costume traditionnel sur une sorte de barque (l’image est floue) : « Les lettres que tu m’écrivais quand on s’est connu au début / – au début souviens toi, pas un jour sans tes lettres ! » Que souligne encore une barque vide au bord d’un lac de montagne : « Billets tendres, mots doux, lettres d’amour / Mon dieu ! / Tu m’écrivais de belles lettres d’amour. »
Et puis, dans de nombreuses constructions de plus en plus critiques, l’amour – ou peut-être seulement le sexe – devient une obsession. Au bord d’une piscine avec des palmiers en pot, comme il en est apparu dans les nouveaux ensembles immobiliers, une dame s’entretient avec un serveur. En maillot de bain dans un fauteuil de jardin, elle montre ses jambes dénudées, avec cette légende : « Si elle voit un homme torse nu à la fenêtre d’un hôtel / elle s’imagine qu’elle lui fait des signes / Il n’y a que ça qui l’intéresse, / elle pourrait en parler des heures. » En effet, ça se précise quand on aperçoit d’anciennes voitures américaines dans une nuit illuminée des années 1965/1968 expliquées ainsi : « Elle me montre les ‘’signes d’amour’’ soi-disant / Elle voit ces signes d’amour partout, / des inscriptions d’amour, des déclarations dans la rue. » Pour atteindre un bungalow périurbain avec un toit de tuiles et quelques barquettes ou pots de fleurs à l’entrée. Le message est censé faire rêver sur la beauté des vacances : « Un tel est là qui vous regarde » ; « Je cherche un chien pour me lécher » ; « Je me masturbe avec ma douche » ; « avec un œuf à repriser ».
Ainsi, le rythme des images et leur banalité, éclaircis par ces mots doux, restituent l’univers du souvenir, fait de détails, de sensations, d’éclairages uniques. L’œuvre se construit en un poème conçu par deux artistes, une relation où l’image en noir et blanc d’un bord de lac sous un ciel sombre correspond parfaitement à cette légende : « Quel beau ciel bleu ! Quels beaux arbres verts ! » Tout est inventé et la carte d’aujourd’hui devient évidente, une carte en couleurs avec un bord de mer la nuit, une ville illuminée, et cette légende : « Faiblesse, paresse, tristesse. / Pourtant ! / Beau temps chaud propice à l’amour. »
Vous l’aurez compris. Si vous recherchez l’amour de carte postale du bon vieux temps, précipitez-vous sur ce succulent petit livre d’artiste. Demandez « aux cartes : ceci ? ou cela ? ». Elles vous répondront : « Termine d’abord ce que tu as commencé. »