Vieux de la vieille

Deux honorables auteurs de bestsellers, qui ont pris quelque repos ces dernières années, proposent un nouveau livre : l’Américain Dennis Lehane, silencieux depuis six ans, publie Le silence tandis que la Française Fred Vargas, policièrement muette depuis le même nombre d’années, organise le retour de son commissaire Adamsberg dans Sur la dalle. D’autres écrivains fort connus ont, quant à eux, maintenu leur rythme quasi annuel  et,  continuant à jouer avec le suspense et le retournement, offrent pour l’été des aventures policières de bonne facture : Valerio Varesi les fait, à son habitude, se dérouler en Italie, à Parme, et Leif GW Persson en Suède, à Stockholm.

Dennis Lehane | Le silence. Trad. de l’anglais (États-Unis) par François Happe. Gallmeister, 496 p., 25,40 €
Fred Vargas | Sur la dalle. Flammarion, 510 p., 23 €
Valerio Varesi | Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri. Trad. de l’italien par Florence Rigollet. Agullo, 320 p., 22,50 €
Leif GW Persson | L’enquêteur agonisant. Trad. du suédois par Esther Sermage. Rivages, 446 p., 25 €
Couverture de Le silence de Dennis Lehane

Dennis Lehane dans Le silence a choisi un contexte historique intéressant, le « busing » aux États-Unis (organisation du transport scolaire pour promouvoir la mixité dans les écoles publiques) au début des années 1970. Le livre se déroule en effet en 1974, lors de la décision du juge Garrity de faire appliquer ce « busing » dans la ville de Boston, et des violentes manifestations qui s’ensuivirent. La question du racisme et de son implantation dans les milieux populaires offre un fond à l’intrigue.

Le roman suit Mary-Pat Hennessy, une habitante de Southie (quartier ouvrier irlandais de Boston), dans la recherche de sa fille adolescente, Jules, disparue un beau soir : comme l’enquête officielle n’avance pas assez vite, elle a pris les choses en main. Lehane propose ici une justicière prolétaire « type » : mère-courage, travailleuse et bagarreuse, déterminée à lutter contre le sort qui l’accable, etc. Il l’invente juste assez raciste pour pouvoir la faire évoluer et énoncer quelques vérités sur les préjugés et les situations économiques états-uniens. Une autre tragédie vient dans le livre fournir un parallèle à la situation de Mary-Pat ; la mort d’un jeune homme noir à la station de métro où Jules a elle-même été vue pour la dernière fois. Les deux événements sont bien sûr liés, et les milieux criminels de Boston impliqués. Du bon Lehane, avec ce qu’il faut de rythme et de suspense.

Qui ne serait content de retrouver, dans Sur la dalle, le très sympathique et nonchalant commissaire Adamsberg de Fred Vargas ? Lors d’une de ses aventures précédentes, il disait délicieusement et mémorablement à son adjoint : « Danglard, vous croyez que je ne fous rien sous prétexte que je ne fous rien. La réalité n’est jamais si simple et vous le savez mieux que quiconque. »  Ici, ce « pelleteur de nuées », enquêtant près de Combourg, en Bretagne, va s’allonger sur la dalle d’un dolmen pour mieux « réfléchir » au cas qu’il est venu investiguer… Mais, hormis ce bref et joli moment de fantaisie, Sur la dalle est singulièrement languissant : Vargas a cette fois-ci oublié de prendre sa potion magique.  Dommage.

Valerio Varesi dans Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri, publié en Italie en 2010, huitième aventure en traduction française de cet enquêteur, ravira encore une fois ses lecteurs. Le récit se déroule à Parme en hiver quand les rues de la ville risquent d’être transformées en torrents par la Parma sortie de son lit.

Le commissaire va devoir élucider la mort d’un ancien leader d’un mouvement étudiant d’extrême gauche des années 1960 et celle d’un jeune inconnu impeccablement habillé, retrouvé pendu dans un hôtel à l’abandon. Le livre est noir, rempli de vieilles passions politiques et d’introspection personnelle, d’allusions sociologiques, de descriptions de lieux et ponctué de délectables repas. Une belle atmosphère !

Le spleenétique Soneri – « Le problème n’est pas tant la mort des autres que la part de nous qui meurt avec eux »– continue d’être (ou est déjà si l’on considère la date de publication du livre en Italie) le héros idéal pour dénouer les fils : consciencieux, réfléchi, bon connaisseur de l’histoire italienne, attaché aux grandes valeurs mais dépourvu d’illusions… et de surcroît aussi ironiste que fin gastronome.

De leur côté, ses parcours parmesan, ses virées vers la côte ligurienne… agrémentent l’enquête et ménagent toutes les surprises qu’on peut souhaiter.

Pour les romans de Lehane, Vargas, Valesi et Persson
What is life? An illusion, a shadow, a story. © CC BY 2.0 / Sundaram Ramaswamy/ Flickr

Leif GW Persson met avec L’enquêteur agonisant (publié en Suède en 2010) une fin à la carrière de son inspecteur Lars Martin Johansson. Celle-ci avait commencé dans La fête du cochon (1978) et s’est poursuivie dans six bons ouvrages. Johansson, ici à la retraite, vient d’avoir une crise cardiaque, mais à l’hôpital il est « rattrapé » par une vieille affaire non résolue, le meurtre vingt-cinq ans plus tôt d’une petite fille (passé relativement inaperçu car au même moment Olof Palme, le Premier ministre, était assassiné).

Johansson est-il toujours celui que ses collègues surnommaient « l’homme qui voit dans les coins » ? Sans doute, car de sa chambre de malade, puis de chez lui (avec quelques excursions médicalement interdites à l’extérieur), il va résoudre le mystère. Il trouve aussi, alors que l’affaire est arrivée à prescription, un moyen de rendre justice sans enfreindre la loi. L’atmosphère nordique, les ratés et la corruption de l’institution policière, les effets de distance entre enquête et crime, sont dramatiquement efficaces tandis que la proximité de l’enquêteur avec la mort et ses rapports avec ceux qui l’entourent donnent un aspect à la fois tragique et humoristique à ce livre bien conçu. De plus, cet Enquêteur agonisant est écrit – allons, il faut bien la faire, celle-là !- comme Persson, c’est-à-dire fort agréablement.

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