Orchidéiste, premier roman de Vidya Narine, va et vient entre plusieurs domaines : l’évocation horticole, la satire sociale (légère), le récit familial et personnel, une réflexion sur la transmission.
Son personnage principal et narrateur, Sylvain, l’orchidéiste du titre, raconte son histoire de petit garçon malheureux, fils d’un père qui l’était encore plus, et les déceptions qu’ils ont l’un et l’autre causées à leur famille par leur inadaptation. Heureusement, à l’adolescence les orchidées ont sauvé Sylvain et il en a fait son métier. Mais aujourd’hui, dans sa boutique de fleuriste près du Palais-Royal, il est en proie au spleen : celui-ci se dissipera avec l’apparition d’une jeune femme et la compréhension de quelques vérités concernant l’existence.
Le livre, entre-temps, se sera servi de son thème horticole pour effectuer une série de portraits : les fous d’orchidées dont la botanique a conservé le souvenir, ceux que Sylvain a fréquentés pendant son apprentissage, ses très riches clients (ces derniers fournissant une galerie un peu stéréotypée des Crésus du XXIe siècle : un entrepreneur milliardaire, une femme d’oligarque russe, un comédien et son épouse…). Tout cela fonctionne gentiment, donne lieu à quelques aphorismes (« Il ne faut jamais avoir l’air aussi riche que les riches quand on veut leur vendre quelque chose ») et forme contraste avec la tragédie familiale et les difficultés existentielles parallèlement évoquées par notre fleuriste mélancolique.
Mais, plus que les malheurs ou bonheurs de Sylvain, les pères défaillants, la ploutocratie grotesque, ce sont les fleurs qui intéressent et charment dans Orchidéiste. La séduction opère dès que Sylvain raconte l’histoire des orchidées et des hommes qui les ont recherchées, le commerce dont elles font l’objet, dès qu’il les décrit, nous renseigne sur leur système de reproduction et leur culture… Eh oui, qu’il nous parle de William Cattley (« inventeur » des cattleyas) et des trente mille variétés d’orchidées, qu’il égrène pour nous la belle sonorité des termes savants (spathe, hémolymphe, protocorne, gynostème) et nous voilà conquis. La jolie préciosité qui saisit alors la prose fait d’ailleurs apparaître comme peu heureux et peu probable le style banal et relâché que Sylvain emploie parfois dans les passages personnels (« des fois », « je me positionne », « c’est n’importe quoi », « le film de ma vie s’arrête »…).
Mais bon, laissons-nous fasciner par l’orchidée étoile de Madagascar (ou orchidée de Darwin) et par le papillon sphinx de Wallace, « induit » par Charles Darwin qui, ayant observé la fleur et ses caractéristiques sexuelles, avait déclaré que seul un insecte possédant une trompe de 32 cm pouvait en être le pollinisateur. On se moqua de lui. Quarante décennies plus tard, l’hypothétique papillon fut enfin observé pour la première fois : il existait bien.
Une leçon pour Sylvain et nous tous sur les capacités imaginatives de l’intellect. Quant aux capacités imaginatives du cœur, sans doute celles dont Sylvain découvre le pouvoir, on se souvient en avoir lu le poétique résumé dans le distique d’Emily Dickinson, qui aurait fait une belle épigraphe à Orchidéiste : To him who keeps an Orchis’ heart / – The swamps are pink with June.
À qui possède un cœur d’orchidée –
Les marais sont d’un rose de juin.