La biographie de Louise Bodin (1877-1929), Louise Bodin. La bolchevique aux bijoux, de Colette Cosnier, parue en 1988 aux éditions Hornay et rééditée aujourd’hui par les Presses universitaires de Rennes, (re)met en lumière une intéressante personnalité du féminisme et de la gauche appartenant au premier quart du XXe siècle.
Louise Bodin fut en effet suffragiste, féministe, pacifiste, militante socialiste puis communiste. Celle que ses camarades appelaient « la bonne Louise », et ses adversaires « la bolchevique aux bijoux », était également mariée à un professeur de médecine et mère de trois enfants. L’essai, fondé sur des documents d’archives, présente donc une femme aussi douée pour l’activisme que pour la félicité domestique.
Issue d’un milieu parisien aisé et bourgeois, presque rien ne la prédisposait à un rôle hors du foyer, ce d‘autant moins qu’elle se maria dans un milieu tout aussi bourgeois, de surcroît provincial et réactionnaire. Elle-même, jeune, s’était senti une certaine haine de la République, et des faiblesses pour Jules Lemaître (fondateur de la Ligue de la patrie française) ou même Édouard Drumont, puis elle évolua. Fut-ce à l’occasion du second procès de l’affaire Dreyfus qui se tint à Rennes, où elle habitait, ou grâce à la fréquentation de personnes éclairées comme Victor Basch, alors rennais, ou de certains collègues de son mari ? Nul ne sait.
Mais elle avait eu un père bienveillant, fait des études de lettres à la Sorbonne, épousé un homme qui, s’il ne partageait pas ses opinions, la soutint toujours, et surtout elle possédait un cœur sensible aux injustices… Elle se lança donc dans le combat politique.
D’abord, elle se consacra à l’écriture littéraire, puis journalistique engagée. Adversaire de la guerre (de 1914), elle s’y opposa et fut censurée ; elle prit des positions très fortes en faveur des femmes, des enfants orphelins ; elle s’indigna de la loi de 1920 qui pénalisait l’avortement et la contraception… Au cours de sa vie, elle défendit ces causes dans quelques ouvrages et plus de cinq cent articles écrits pour des revues indépendantes, socialistes puis communistes. Elle se battit sur beaucoup de fronts : elle devint en 1917 rédactrice en chef de l’hebdomadaire La Voix des femmes, collaboratrice à L’Humanité et au Populaire, elle entra au comité directeur du Parti communiste en 1921, elle eut un rôle essentiel dans l’implantation du Parti communiste en Île-et-Vilaine et en devint la secrétaire départementale de 1921 à 1923. Elle finit par se détacher du parti avec l’évolution du communisme en URSS et la déportation de Trotsky… Bref, elle passa des décennies de son existence à écrire, organiser des secours (créant un service d’adoption des orphelins de guerre pour leur éviter d’être placés à l’assistance publique), réfléchir aux questions féministes (en matière de droits, de sexualité, de natalité « forcée » et de santé), mener des réunions, intervenir au niveau local et international… avant de tomber gravement malade en 1924 et de rester grabataire jusqu’à sa mort.
Louise Bodin. La bolchevique aux bijoux fait ainsi redécouvrir l’existence d’une femme animée par le projet de changer le monde, confiante en ses rapports affectifs paisibles (un mari aimant et aimé, trois enfants) et impassible face à la haine conservatrice et misogyne qui la visa souvent. Ce qui préoccupait Louise n’était pas ces attaques, mais le conflit qu’elle ressentait entre sa vie de privilèges et son engagement en faveur des exploités et des sans-droits. Conflit impossible à résoudre, qui ne l’empêcha pas d’élever sans relâche une voix obstinée et passionnée « au service des femmes et de la classe prolétarienne ».
Cette biographie est donc à la fois l’histoire d’une détermination individuelle et un morceau de l’histoire des luttes sociales et féministes. Louise nous intéresse ; ses combats aussi, surtout aujourd’hui, en période d’effondrement du collectif, car ils permettent de regarder un peu différemment ceux que nous continuons de mener.
Chapeau donc à cette « bonne Louise » qui, ses détracteurs le savaient et ses photos le montrent, fut plus intéressée par le « sort des opprimés » et la lutte politique que par les bijoux.