Le nouveau roman de Sylvain Prudhomme, L’enfant dans le taxi, est un récit d’une beauté simple et lumineuse dans lequel il est question d’un amour finissant et de la révélation d’un secret de famille. Le narrateur, Simon, qui est écrivain, explore les méandres de ces deux événements qui ne sont liés que par la manière qu’il a de les entrelacer. Il remonte le fil de l’histoire pour en percer l’origine, tout en redescendant le cours des sentiments dans une tendresse mélancolique dans laquelle les enfants continuent de grandir, celle du père qui les enveloppe en permanence.
La révélation d’un secret de famille plonge Simon dans la stupeur. Il apprend au cours de l’enterrement de son grand-père, Malusci, qu’un enfant, M., est né d’une brève et intense histoire d’amour entre ce grand-père (qu’on avait déjà rencontré en 2012 dans Là, avait dit Bahi) et une jeune femme, en Allemagne, pendant la guerre. L’existence de cet enfant est restée tue, comme interdite (et forcément inter-dite). L’enfant a été écarté de sa famille paternelle, maintenu de force dans les marges de cet amour de jeunesse (et de ce territoire ennemi) qui n’a pourtant sans doute jamais complètement disparu.
Simon apprend ce qui devait rester caché, particulièrement pour sa grand-mère, Imma, qui se montre sous un jour inconnu, celui de la violence autoritaire (et jalouse), gardienne du secret, ce qui explique à quel point le narrateur est saisi : il est interdit de savoir, et enfreindre l’interdiction reviendrait à être renié, comme le lui dit clairement la vieille dame. Malgré cette menace, et en dépit de son amour sincère pour elle, il décide de rassembler des bribes de cette histoire dissimulée pour s’approcher progressivement de M. dont il s’est immédiatement senti le « complice » : « J’ai pensé que j’étais le frère de M. dans l’ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l’ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux. » Il ne choisit donc pas la « paix » même si elle fait envie à tous : « Qui n’est pas d’accord pour convenir que la paix est précieuse, que tous ceux qui la troublent sont toujours des importuns, des inconvenants, des fâcheux. Le problème n’était-il pas plutôt que la paix soit l’autre nom du déni. »
Mais il ne choisit pas la guerre pour autant, tout le récit le prouve. Les choix du narrateur amènent au contraire à la réparation et à la réconciliation. Le récit tisse progressivement une voie, non pas celle qui mène à la victoire bruyante de la vérité, mais plutôt celle de la possibilité d’une concorde, qui se construit à petits pas, avec amour et humilité. Et qui résonne dans ce lied, Morgen, qu’Imma joue en souvenir de Malusci, qui le « chantait magnifiquement », à la toute fin du récit.
Donner une place à M., l’accueillir dans cette famille qui l’a d’abord renié, en le faisant exister en premier lieu dans les mots, dans le récit, c’est pour Simon restaurer la force de l’amour au moment même où il est confronté aux fragilités et aux failles du sentiment amoureux, qui s’échappe malgré la force avec laquelle il rêve qu’il demeure, à jamais. L’enfant dans le taxi est aussi le récit de cet amour qui se défait, sans animosité, le constat du désir qui s’étiole, alors que Simon reconstruit par ailleurs cette histoire enfin révélée, celle d’un amour qu’il veut croire indestructible.
Faire exister M. dans l’histoire familiale, c’est aussi faire exister cet enfant qui a dû grandir hors du regard de son père, alors que le narrateur est si souvent attentif à ses deux fils et à leurs jeux. Les pères et les fils s’inscrivent en filigrane tout au long du récit, de ces pères qui disparaissent, de ces fils qui les cherchent et finissent par les trouver, de manière inattendue, au détour d’un récit ou d’une confidence. Ou de manière détournée, en devenant eux-mêmes des pères de substitution. De ces pères qui aiment, malgré tout. La force de ces liens est si insoupçonnée qu’elle se dit par petites touches, et là aussi avec tant d’humilité et de tendresse, par Simon, écrivain et père, mais aussi frère symbolique de M.
Dans L’enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme trouve un rythme qu’on ne lui connaissait pas complètement, une langue qui s’affirme encore davantage, comme si, par ce récit, il amorçait un virage, tout en douceur, mais de manière assurée. N’est-ce pas précisément parce que l’objet même du récit, l’amour qui se fait et se défait, inlassablement, conduit Simon, mais aussi l’auteur, à explorer une musique que nous n’avions pas encore entendue dans ses précédents textes ? C’est aussi pour cette raison que L’enfant dans le taxi est une lecture qui se déguste avec délicatesse et bonheur. Et un véritable hymne à l’amour.