Il faut reconnaître à Marielle Macé, chercheuse et essayiste, un art de passeuse, de relieuse. Un talent qui consiste à piquer au vol, d’un joli coup de bec, un mot, verbe ou substantif, et à le déployer comme une boule de thé en de multiples directions sans jamais se perdre. Marielle Macé est souple, ses essais ont de l’aisance et séduisent un lectorat qui dépasse largement les cercles académiques. Le dernier, Respire, en est la preuve parfaite, au ton à la fois sombre et allègre.
Le sujet respiration lui vient de loin, précise-t-elle. D’une enfance asthmatique et d’un père boulanger qui toussait quotidiennement à cause des farines irritantes qu’il manipulait, fabriquées à partir d’un blé infesté de pesticides. En vérité, la dimension autobiographique de son essai est assez ténue ; elle est là comme une signature, une grigne, la marque du fabricant de pain qu’elle évoquait dans Façons de lire, manières d’être (Gallimard, 2011). Rappel simple, factuel, plus discret que les mises en scène de soi auxquelles la littérature autofictionnelle nous a habitués.
Puis vient le confinement, autre temps, plus proche, suivi l’année suivante par un séjour dans des conditions… L’adjectif, rare, est l’occasion pour l’essayiste d’introduire la dimension politique et sociale de sa réflexion : inégalités révélées sous un jour cruel lors de la quarantaine ; souvenir de la mort de George Floyd, américain, noir, étouffé par un flic blanc en s’époumonant : « I can’t breathe » ; espérances de vie aux écarts indignes.
Il y a toujours chez Marielle Macé un sous-texte politique, souvent convaincant, moins quand il est trop ajusté à l’air du temps, comme s’il manquait de respiration. Il est vrai que la formule « carbo-fascisme », empruntée à Jean-Baptiste Fressoz, est tentante, mais elle apparaît quelques lignes avant la condamnation d’un Poutine misant sur le réchauffement climatique pour creuser de nouvelles routes du gaz et quelques pages avant la mention du projet chinois d’« ensemencement des nuages », projet prométhéen, terrifiant, pourtant bien réel, qui prouve que les divisions politiques de ce début de XXIe siècle ont pulvérisé celles du XXe. Alors, carbo-tyrannie, plutôt, non ?
La remarque ne vaut que ce qu’elle vaut car l’essai intitulé Respire ne s’appesantit jamais. Marielle Macé évoque un sujet grave, qui implique la vie et la mort, mais avec une forme de légèreté, de suavité, d’aptitude à rebondir sur les mots, les désinences, les préfixes (respirer/conspirer), les sujets et les voix : ça respire en moi, je respire… Son phrasé est rythmé et contribue à donner l’impression qu’elle avance à cloche-pied. Sa ponctuation privilégie les virgules, les points-virgules, les blancs. Elle s’autorise, et elle a raison, des répétitions, des anaphores, des assonances. Elle serpente, ondule.
Marielle Macé propose pourtant un tableau du monde plus qu’actuel et s’en inquiète, mais sans catastrophisme. Elle a confiance, semble-t-il, en l’art, la recherche, la poésie, la médecine, la culture, sœur siamoise de la nature.
Elle cite, beaucoup. D’aucuns le lui reprocheront, dont nous ne sommes pas. Car elle se fait le porte-voix de poètes contemporains à qui elle offre de la visibilité, c’est assez rare pour le souligner. Ainsi Andrea Zanzotto, poète vénitien peu connu en France, à peine sorti de son village de son vivant, allergique, mélancolique, témoin de la destruction du paysage autour de lui. La nature et sa dégradation sont toujours très présentes dans les essais de Marielle Macé, souvent liées à l’enfance, voilées d’une nostalgie ô combien compréhensible. Alors que la tendance est mal vue de nos jours, elle se laisse aller à des accents, des envolées lyriques : âme, animus, anima, décline-t-elle avant de citer Rilke, plutôt que Claudel, la foi du premier plutôt que celle du second. Question de lectures, de culture, de sensibilité.
Ce faisant, elle propose pourtant un tableau du monde plus qu’actuel et s’en inquiète, mais sans catastrophisme. Elle a confiance, semble-t-il, en l’art, la recherche, la poésie, la médecine, la culture, sœur siamoise de la nature. Elle est alerte, très curieuse et au fait d’entreprises de pointe passionnantes : elle mentionne les travaux du laboratoire Forensic Architecture, dont les enquêtes portent sur les traces des violences d’État et des violations des droits humains que l’environnement, surtout le bâti, conserve. Les ruines, les statues, les pierres, n’y sont plus source de nostalgie mais éléments de preuve, empreintes de guerres et de désir de mort. L’oie sauvage que chevauchait Nils Holgersson a été remplacée par les drones : qu’y avons-nous gagné ?
Respire est un essai court qui, lui, chevauche le pays du souffle : cent pages d’un format que l’on glisse dans sa poche, concentré de portes entrouvertes et de pistes assorti d’une bibliographie généreuse. À chacun et chacune de pousser celle qui l’enchante, l’intrigue ou l’angoisse davantage.