Une schubertiade

Disques (31)

Maria Cristina Kiehr (soprano) et Pablo Márquez (guitare) donnent une version historique en même temps qu’intimiste d’une sélection de lieder de Schubert. De leur récital se dégage beaucoup de douceur.

Franz Schubert | Sehnsucht. Maria Cristina Kiehr, soprano ; Pablo Márquez, guitare. Vision fugitive, 15 €

La soprano Maria Cristina Kiehr et Pablo Márquez à la guitare interprètent une sélection de lieder de Franz Schubert. Ils se lancent ainsi dans une entreprise qui pourrait paraître audacieuse. Pourtant, le guitariste relate dans le livret que, du vivant même du compositeur, plusieurs de ses lieder (comme le très fameux Roi des Aulnes) ont été publiés avec accompagnement au piano ou à la guitare, la version pour guitare précédant même parfois celle pour piano. Bien que ces arrangements ne soient pas de la main du compositeur, leur interprétation révèle aujourd’hui une pratique historique. D’autres enregistrements existaient déjà, mais celui-ci est un des plus séduisants. Dès les premières notes de guitare, le ton est donné et le chant de la soprano est au diapason : la douceur est de mise dans ce récital pour lequel la chanteuse se fait aussi conteuse, chaque lied devenant en effet un récit merveilleux.

Maria Cristina Kiehr est une soprano inattendue pour chanter Schubert : elle est une spécialiste de la musique des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Ses interprétations sensibles et savantes font connaître les œuvres d’un répertoire qui est souvent de niche. Malgré d’innombrables versions de référence, les lieder de Schubert portés par la chanteuse n’échappent pas à cette mise à nu. Autant que le caractère romantique des poèmes mis en musique, son chant met en lumière le propos narratif. Dans Der Zwerg, le drame est rendu sensible par la complainte qu’entonne la chanteuse (en même temps que par l’accompagnement tourmenté de la guitare). Par le truchement de cette voix, Der Wanderer, le voyageur si cher à Schubert, retrace son errance solitaire avec une sérénité désarmante. Quant au voyage imaginaire à Heliopolis, il devient une berceuse rassurante délicatement accompagnée.

Disques 31 - Sehnsucht Schubert Maria Cristina Kiehr et Pablo Márquez
© Vision fugitive

Une impression particulièrement chambriste se dégage du disque, même dans les pièces où la partition de guitare se fait plus dense. De ce point de vue, est admirable Suleika, dont le poème fut écrit par Marianne von Willemer et accueilli par Goethe dans l’un de ses derniers recueils poétiques, Le Divan occidental-oriental. L’opulence sonore habituelle au piano est mise à distance, ici, par le jeu plein de nuances subtiles de Pablo Márquez. C’est néanmoins avec beaucoup de caractère que, au début de Der Pilgrim (sur un poème de Schiller), le guitariste annonce la mélodie un peu entêtante de la chanteuse. Chose classique dans les lieder mais dont l’effet est très réussi dans Auf dem Wasser zu singen, l’accompagnement incarne les miroitements et les balancements évoqués dans le texte de Friedrich Leopold. 

Pablo Márquez joue, pour ce disque, sur une guitare fabriquée par Johann Anton Stauffer au XIXe siècle. Il est intéressant de savoir que ce luthier est le fils de Johann Georg Stauffer, inventeur de l’arpeggione, instrument qui serait aujourd’hui totalement oublié s’il n’avait inspiré à Schubert une extraordinaire sonate, désormais jouée à l’alto ou au violoncelle. Schubert possédait une guitare de J. G. Stauffer bien qu’il n’en jouât sans doute pas couramment. Comme Márquez y invite dans le livret, on peut toutefois se plaire à imaginer que le compositeur entendait parfois, lors de certaines schubertiades (ces réunions musicales et amicales organisées autour de lui), ses lieder accompagnés à la guitare.

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