Pour un Français, « Pétaouchnok », « Trifouillis-les-Oies », noms imaginaires, renvoient à un lieu éloigné, pauvre en artéfacts et « habitus » modernes… bref des « trous paumés ». Riccardo Ciavolella, ethnologue, a décidé dans un livre intelligent et joliment illustré de faire découvrir de quelle manière d’autres langues et sociétés les désignent et pourquoi.
Le propos de Ciavolella débute, reconnaît-il, par une petite « triche » car Pétaouchnok n’existe pas alors que les quatre-vingts lieux qu’il va ensuite répertorier alphabétiquement (d’Abdera à Tombouctou) et présenter existent bien, eux (enfin presque tous). Mais, étant donné l’omniprésence du mot en français et la séduction de sa physionomie sonore et étymologique, on pardonnera à Ciavolella cet écart, qui n’en est d’ailleurs pas vraiment un, dans cet « atlas imparfait » mais parfaitement passionnant.
Faisons donc connaissance, grâce à lui, de ces noms et de ces endroits qui servent ironiquement à nommer l’ailleurs : l’Houtsiplou des Wallons, l’Ikatarange des Rouandais, le Jandaba des Géorgiens, les îles Moumouk des Québécois, le Prnjavor des Croates… et d’autres si nous sommes arabes, chinois, turcs…
Chaque toponyme désignant un bout du monde ou un « milieu de nulle part » est soumis au fil des pages à une analyse savante et imaginative, et précédé d’un résumé répondant aux questions suivantes : Quelle idée évoque-t-il pour celui qui l’emploie? Dans quel contexte géographique et par le biais de quelles expressions est-il utilisé ? Quelles sont sa typologie, son étymologie ? Et, pour finir, à quel lieu réel renvoie-t-il ?
Ainsi, pour prendre le Canicattì du pays de Ciavolella (qui est italien), signifiant donc un lieu éloigné et primitif : il n’est, pour la plupart de ses compatriotes, qu’un mot d’argot et ils ignorent qu’il est le nom d’une petite ville de Sicile. Peut-être a-t-il été choisi pour son étrangeté : un accent sur la dernière syllabe et une évocation de chiens (cani) dans les deux premières. Mais c’est bien sûr dans le nord de l’Italie, dont l’imaginaire semi-colonial voit le sud comme sauvage et reculé (alors même que Canicattì possède une gare – certes en bout de ligne du train de Milan), qu’on a commencé à l’utiliser. Aujourd’hui, l’office de tourisme doit même se défendre contre le fâcheux stigmate qui flétrit la ville. Mais Ciavolella d’ajouter, avec malice, que les habitants de Canicattì ont leur propre Pétaouchnok qui s’appelle Carrapipi (déformation dialectale du nom Valguarnera Caropepe de la province d’Enna), symbole pour eux de la Sicile la plus arriérée.
Pétaouchnok(s), atlas imaginaire, fait preuve dans ses quatre-vingts entrées (plus une) d’un joli tour de main historique et ethnologique, et d’un penchant poétique sûr pour évoquer ces lieux où nous ne pouvons aller que par le langage. En voyage, donc, pour Pétaouchnok et alii.