Le surréalisme sous l’Occupation

Injustement oublié, le groupe La Main à plume bénéficie depuis quelques années d’un regain d’intérêt, grâce notamment aux travaux de Michel Fauré et surtout à cet essai très documenté – qui apporte un éclairage nouveau – de Léa Nicolas-Teboul, avec une préface de Louis Janover. S’inspirant du mouvement surréaliste à la fin des années 1930, tout en n’ayant plus de contact avec les principaux membres historiques exilés, ses affiliés ont cherché, durant la dernière guerre mondiale et dans la France occupée, à en assurer une sorte de continuité parallèle.

Léa Nicolas-Teboul | La Main à plume (1940-1944). Le Communisme des esprits surréalistes à l’épreuve de l’Occupation. Hermann, 450 p., 30 €

Ce livre évoque un épisode peu connu de l’histoire littéraire sous l’Occupation, période trouble où les écrivains ne furent pas toujours sans accommodement, pour ne pas dire plus, ce qui ne fut pas le cas des poètes, des écrivains et des peintres de La Main à plumeCe groupe est né de la rencontre à la fin des années 1930, au sein de la Fédération internationale pour l’art révolutionnaire indépendant (FIARI), de jeunes militants trotskistes avec les surréalistes. Les membres fondateurs, Robert Rius, Adolphe Acker, Jean-François Chabrun, Henri Goetz, Émile Guikovaty, peuvent ainsi revendiquer une légitimité, d’autant plus que Benjamin Péret, avant son départ pour le Mexique, les avait en quelque sorte parrainés lors d’une réunion au Dôme en automne 1940 pour le lancement d’une nouvelle revue. 

Léa Nicolas-Teboul La main à plume
Robert Rius (1943) © CC BY-SA 3.0/Latarentine /Wikicommons

D’autres éléments viendront rejoindre le groupe, notamment des néo-dadaïstes du mouvement Les Réverbères, tels Noël Arnaud, Jacques Bureau, Nadine Lefebure, Marc Patin. De jeunes poètes belges publieront des textes dans la revue – celle-ci changeait de nom à chaque numéro pour échapper à la censure –, tels Christian Dotremont et, grâce à lui, Achille Chavée et Marcel Mariën. On ne saurait non plus passer sous silence les apports de Maurice Blanchard, Gérard de Sède et Édouard Jaguer. Des peintres apporteront leurs contributions, les surréalistes Oscar Dominguez, Jacques Hérold, les abstraits Christine Boumeester, Henri Goetz, Gérard Schneider, et le photographe Raoul Ubac notamment. Les femmes sont nombreuses et très impliquées dans les activités du groupe. Maurice Nadeau, sous le pseudonyme de Gilles, y donnera un compte rendu du livre de Pierre Naville sur le baron d’Holbach. Si dans son Histoire du surréalisme, Nadeau ne mentionne le groupe que très brièvement, il précise dans un entretien avec Jean José Marchand en 1989 : « j’avais participé à un petit groupe qui s’appelait la Main à plume où il y a eu des copains aussi d’arrêtés, il y en a qui ne sont pas revenus comme Robert Rius. Bon, on essayait de faire quelque chose, sur la base de cette révolution utopique »Il faut ajouter que La Main à plume se fera éditeur de courtes publications individuelles, des poèmes-tracts parfois distribués de la main à la main, avec des textes d’Arnaud, Blanchard, de Sède, Chabrun, Dotremont, Iché, Léo Malet, parmi d’autres.

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Ce livre contribue largement à réhabiliter les activités littéraires, artistiques et militantes du groupe La Main à plume, et à éclairer une partie méconnue de l’histoire littéraire sous l’occupation allemande.

Entre orthodoxie et hétérodoxie, les membres de La Main à plume réinventent à leur manière le surréalisme en restant fidèles à ses principes, notamment la révolte et l’importance du collectif. Très politisés, le contexte de la guerre les conduira naturellement vers la Résistance, et certains seront déportés, fusillés ou mourront dans le maquis. L’action militante accompagne une intense activité poétique et artistique, conforme au projet surréaliste du groupe qui s’inscrit dans « une conception de la création collective et expérimentale » : jeux surréalistes, discussions collectives, recherche théorique en commun. Si la référence à André Breton reste centrale, « la guerre a constitué une nouvelle génération et en particulier une nouvelle génération surréaliste en rupture symboliquement et matériellement avec le groupe des exilés »écrit Léa Nicolas-Teboul.

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Sur le plan littéraire, il y a une véritable volonté de « mise en commun de la poésie », avec en toile de fond le désir de réconcilier l’art et la vie et le rêve utopique d’une « société poétique »S’il revendique le surréalisme historique, le groupe cherche aussi à le « perfectionner », allant jusqu’à inventer l’Usine à poèmes qui consiste à écrire anonymement des poèmes collectifs sur le principe des cadavres exquis et qui n’est pas sans faire penser à la pratique japonaise du renga. Le côté « usine » est surtout sensible dans la présentation qui doit produire un « effet usine » à la lecture, et Chabrun décrit le poète comme un « ouvrier, c’est-à-dire le détenteur véritable des moyens de production de la liberté », ce qui n’a rien d’étonnant pour ces militants trotskistes, surtout dans le contexte de l’époque. D’autres procédés seront utilisés, comme la confrontation d’une « poésie intentionnelle » avec une « poésie involontaire » constituée de citations de textes philosophiques, politiques, voire de chansons enfantines et de faits divers, avec par ailleurs la volonté de réhabiliter le quotidien. On ne peut les citer tous, mais certaines de ces techniques imposent des contraintes formelles qui ne sont pas sans faire penser à ce que seront les travaux de l’Oulipo, comme ce Dictionnaire analytique de la langue française entrepris par André Stil et Noël Arnaud, œuvre très ambitieuse qui ne sera jamais achevée. 

Léa Nicolas-Teboul La main à plume
« Dérivé d’azur », Yves Tanguy (Paris, 1929)© CC BY-NC-SA 2.0/jean louis mazieres/Flickr

Si, comme tout groupe actif, La Main à plume connaît des dissensions, elles prennent la tournure de conflits politiques dès janvier 1944 entre les trotskistes et ceux qui veulent se rallier au Parti communiste, tel Chabrun. Les membres se disperseront après la Libération et la plupart d’entre eux s’éloigneront du surréalisme, à l’exception de Hérold et d’Acker, tandis que Dotremont, Arnaud et Jaguer joueront un rôle moteur dans la formation du Surréalisme révolutionnaireCependant, l’influence souterraine de La Main à plume se fera sentir, surtout avec Dotremont, dans les activités artistiques de Cobra et plus indirectement chez les situationnistes.

On n’épuise pas au moyen d’un article un essai d’une aussi grande richesse documentaire. Il faudrait évoquer tout le travail théorique et pratique des artistes qui cherchent à réinventer l’image surréaliste et auquel Léa Nicolas-Teboul consacre deux chapitres : Le matérialisme plastique de la Main à plume et Image(s)-temps. Ainsi, le concept de « double imagination » défendu par Régine Raufast associe dans la pratique créative « l’imagination imageante de l’opérateur et l’imagination propre à la matière ». Ce livre contribue largement à réhabiliter les activités littéraires, artistiques et militantes du groupe La Main à plume, et à éclairer une partie méconnue de l’histoire littéraire sous l’occupation allemande. 

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