Paroles de Gaza

Des poètes et écrivains de Gaza ont, dès les premiers jours des bombardements israéliens, publié des textes littéraires sur les réseaux sociaux. Certains ont été ensuite rassemblés par la chercheuse Sara Roy (Harvard Center for Middle Eastern Studies) avec la permission des auteurs, en un opuscule intitulé This is Gaza: Literary Texts Written Under the Israeli Bombardment of Gaza. EaN présente ici la traduction de cinq d’entre eux (écrits en anglais, ou bien écrits en arabe puis transcrits en anglais pour This is Gaza, ils sont tous traduits de cette langue).

Nasser Rabah. Poète | 10 octobre 2023.

Encore une guerre, elle passera, c’est ce que je disais aux premiers jours de la précédente. Avant, la guerre était, au pire pour moi, une encombrante invitée qui me ferait perdre mon temps puis s’en irait, car à Gaza, la guerre, on s’en soucie peu. Nous sommes constamment en guerre avec la vie. En guerre avec l’électricité et l’eau, avec  la manière de nous déplacer et de trouver un travail. La guerre est habituée à nous et nous sommes habitués à elle. À Gaza nous partons en guerre comme si nous allions soutenir notre équipe de foot favorite. Nous chantons à tue-tête et plus fort encore lorsque nous gagnons des martyrs ou qu’une de nos maisons est pulvérisée.

À Gaza, nous sommes atteints de l’hystérie du martyr, parce que nous n’avons rien d’autre à offrir à nos terribles vies que la mort, et donc nous nous en approchons avec un grand cérémonial et un tapage plus grand encore.

Beesam Abdel Raheem. Nouvelliste et poétesse  | 12 octobre 2023.

Aujourd’hui est hier

Et hier coule d’une vieille blessure.

Je ne veux pas être écrivain.

Je ne rêve de rien pour demain

Et tout ce qui me tient c’est ma foi.

Aujourd’hui,  23 octobre 2023, une heure de l’après-midi.

Comment nos jours sont-ils devenus si terrifiants ?

Mon Dieu, d’habitude nous avons peur de voir, à présent

Nous nous trouvons sans jour ni nuit.

Ah, mon Dieu, ils nous ont volé le temps.

Ohmar Hussein. Poète  | 21 octobre 2023.

La guerre était assise

puis elle s’est levée, timide les premiers jours,

cachant son visage et son souffle.

Le premier mort portera un nom et un numéro

et peut-être indiquera-t-on la couleur de ses souliers.

Quelle chance, ce sera un martyr.

Alors nous passons, et la mort nous frappe,

sans nom et sans histoire.

La guerre s’est levée pour un combat maudit,

non elle ne dormait pas, elle faisait semblant.

Di Haidar Al Ghazali. Poète | 23 octobre 2023.

Nos rêves sont si modestes.

Je veux que tous vous assistiez à mes funérailles 

et jetiez des fleurs sur mon visage

car je veux mon visage.

Je le veux

Et je n’aime pas attendre

Je veux que ma chambre

assez grande pour abriter mes vastes rêves

ne m’étouffe pas.

Je ne veux pas attendre la mort sous les décombres.

Car, je le redis, je n’aime pas attendre.

Et avant cette mort,

je veux être un être humain

une dernière fois

je veux boire le nectar des mûres dans le calme de la nuit

et venir simplement à toi, 

ô Dieu

mon  Dieu.

Youssef Al-Quidra. Poète | 24 octobre 2023.

Je pourrais écrire un poème avec du sang.

Avec des larmes, avec la poussière qui remplit mes poumons 

Avec les dents des pelleteuses, avec les morceaux de corps,

Avec les immeubles en ruine, avec la sueur des sauveteurs

Avec les gémissements des femmes et des enfants

Avec les sirènes des ambulances

Avec le cadavre d’un arbre que j’aime

Avec  tous ces visages examinant les êtres aimés qu’ils ont perdus

Avec la voix de l’enfant sous les décombres qui crie « Je suis vivant »

Je pourrais écrire un poème

Avec l’assourdissante amertume, le silence nu,

la neutralité lugubre, la paralysie éhontée,

la prostration absolue devant l’Amérique.

Mais à quoi servirait ce poème ?

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