Des poètes et écrivains de Gaza ont, dès les premiers jours des bombardements israéliens, publié des textes littéraires sur les réseaux sociaux. Certains ont été ensuite rassemblés par la chercheuse Sara Roy (Harvard Center for Middle Eastern Studies) avec la permission des auteurs, en un opuscule intitulé This is Gaza: Literary Texts Written Under the Israeli Bombardment of Gaza. EaN présente ici la traduction de cinq d’entre eux (écrits en anglais, ou bien écrits en arabe puis transcrits en anglais pour This is Gaza, ils sont tous traduits de cette langue).
Encore une guerre, elle passera, c’est ce que je disais aux premiers jours de la précédente. Avant, la guerre était, au pire pour moi, une encombrante invitée qui me ferait perdre mon temps puis s’en irait, car à Gaza, la guerre, on s’en soucie peu. Nous sommes constamment en guerre avec la vie. En guerre avec l’électricité et l’eau, avec la manière de nous déplacer et de trouver un travail. La guerre est habituée à nous et nous sommes habitués à elle. À Gaza nous partons en guerre comme si nous allions soutenir notre équipe de foot favorite. Nous chantons à tue-tête et plus fort encore lorsque nous gagnons des martyrs ou qu’une de nos maisons est pulvérisée.
À Gaza, nous sommes atteints de l’hystérie du martyr, parce que nous n’avons rien d’autre à offrir à nos terribles vies que la mort, et donc nous nous en approchons avec un grand cérémonial et un tapage plus grand encore.
Aujourd’hui est hier
Et hier coule d’une vieille blessure.
Je ne veux pas être écrivain.
Je ne rêve de rien pour demain
Et tout ce qui me tient c’est ma foi.
Aujourd’hui, 23 octobre 2023, une heure de l’après-midi.
Comment nos jours sont-ils devenus si terrifiants ?
Mon Dieu, d’habitude nous avons peur de voir, à présent
Nous nous trouvons sans jour ni nuit.
Ah, mon Dieu, ils nous ont volé le temps.
La guerre était assise
puis elle s’est levée, timide les premiers jours,
cachant son visage et son souffle.
Le premier mort portera un nom et un numéro
et peut-être indiquera-t-on la couleur de ses souliers.
Quelle chance, ce sera un martyr.
Alors nous passons, et la mort nous frappe,
sans nom et sans histoire.
La guerre s’est levée pour un combat maudit,
non elle ne dormait pas, elle faisait semblant.
Nos rêves sont si modestes.
Je veux que tous vous assistiez à mes funérailles
et jetiez des fleurs sur mon visage
car je veux mon visage.
Je le veux
Et je n’aime pas attendre
Je veux que ma chambre
assez grande pour abriter mes vastes rêves
ne m’étouffe pas.
Je ne veux pas attendre la mort sous les décombres.
Car, je le redis, je n’aime pas attendre.
Et avant cette mort,
je veux être un être humain
une dernière fois
je veux boire le nectar des mûres dans le calme de la nuit
et venir simplement à toi,
ô Dieu
mon Dieu.
Je pourrais écrire un poème avec du sang.
Avec des larmes, avec la poussière qui remplit mes poumons
Avec les dents des pelleteuses, avec les morceaux de corps,
Avec les immeubles en ruine, avec la sueur des sauveteurs
Avec les gémissements des femmes et des enfants
Avec les sirènes des ambulances
Avec le cadavre d’un arbre que j’aime
Avec tous ces visages examinant les êtres aimés qu’ils ont perdus
Avec la voix de l’enfant sous les décombres qui crie « Je suis vivant »
Je pourrais écrire un poème
Avec l’assourdissante amertume, le silence nu,
la neutralité lugubre, la paralysie éhontée,
la prostration absolue devant l’Amérique.
Mais à quoi servirait ce poème ?