Mettez un tigre dans votre lecture

Bonne nouvelle, Mission tigre de Mick Herron vient d’être traduit. L’auteur britannique, né en 1968, y fait une nouvelle fois la preuve qu’il écrit les thrillers d’espionnage les plus lettrés, les plus spirituels et les plus captivants du moment.

Mick Herron | Mission tigre . Trad. de l’anglais (Grande-Bretagne) par Laure Manceau. Actes Sud, coll. « Actes noirs », 345 p., 23,50 €

Mission tigre, troisième volume en anglais des huit de la série « Slough House », raconte les nouvelles aventures d’un groupe d‘espions du MI5 mis au rancart par les services centraux pour faute professionnelle. Exilés à la « Slough House » (« le placard »), un bâtiment miteux d’Aldersgate (à Londres), ils ne rêvent que de réintégrer les prestigieux bureaux de la maison mère à Regent’s Park, une fois leur purgatoire achevé. En attendant, ils effectuent un moderne travail de « ronds de cuir » du renseignement, sauf lorsqu’ils s’élancent, comme cela leur arrive à chaque roman, « dans des choses qu’ils ne sont pas censés faire », ou dans celles que le MI5 a secrètement et perversement prévues pour eux, se déchargeant ainsi du sale boulot et de la responsabilité d’un éventuel échec.

Pourtant, cette fois-ci, dans Mission tigre, lorsque l’une des « placardisées » est enlevée, rien ne laisse supposer un coup fourré du MI5. Branle-bas de combat chez ses confrères et mobilisation de leur patron, Jackson Lamb, tyran pétomane et souillon, dont la rosserie, la drôlerie et la rouerie ont déjà conquis le cœur des lecteurs. Bien sûr, le kidnapping n’a pas le but qu’on croit et ses commanditaires ne sont pas ceux qu’on croit ; derrière l’opération se cache de sinistres manœuvres de déstabilisation venues du sommet de l’État. Et en manipulateur chef, croit-il, se trouve Peter Judd (déjà vu dans les précédents romans), ministre de l’Intérieur, « électron libre avec une mèche folle et un vélo » (suivez mon regard), pour qui « le mode « content de soi » est le réglage par défaut ». Réglage que Lamb, ses acolytes et leurs ennemis, vont mettre en mode panne pour notre plus grand plaisir. 

Mick Herron, Mission tigre
Homme de dos à Londres © Jean-Luc Bertini

Ces personnages vont bien sûr exécuter les figures de duplicité et de stratégie propres au roman d’espionnage et d’action : filatures, rendez-vous secrets, infiltrations, coups de main, assauts en commando… Chacun les effectue avec une drôlerie soigneusement odieuse pour les chics dirigeantes du MI5 et les « politiques », parfaitement déglinguée pour l’équipe de Lamb. Réunions de crise, courses-poursuites, dézingages, alternent avec des pas de deux langagiers superbes de fourberie professionnelle, assurant une jolie variation de scènes et d’atmosphères : les surprenantes pages d’ouverture font dégringoler Batman du haut d’un bâtiment, les suivantes offrent une visite fantomale à la Dickens de « Slough House », la fin organise une merveilleuse descente de groupes armés ou désarmés dans des hangars désaffectés contenant les archives secrètes du MI5…  

Herron s’amuse, nous aussi, mais son ton plaisamment désabusé laisse toujours  entendre que son vrai/faux monde politique et du renseignement est, comme le nôtre, un monde où, quoi qu’il en coûte, doit continuer à s’exercer le droit des plus forts à le demeurer. 

Mission tigre pétille d’humour et d’intelligence. Tchin-tchin, Mick Herron !

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