Plusieurs publications récentes permettent une promenade dans les règles juridiques qui régissent les œuvres littéraires. Une brève histoire du droit d’auteur, de Jean-Baptiste Rendu et Richard Robert, rend compte sous une forme claire et illustrée de l’histoire du droit d’auteur, tandis que Documents relatifs à l’édition pirate du Traité du style de Louis Aragon de Gérard Berréby, fondateur des éditions Allia, présente la manière de ne pas le respecter. Ensuite, La double nature du livre de François Gèze, longtemps éditeur à La Découverte et disparu en 2023, fait un état des lieux de la « chaîne du livre » sur un ton assez pessimiste qui n’est pas celui des éditions Allia, heureuses quant à elles de célébrer leurs quarante ans d’activité avec un amusant opuscule intitulé J’ose m’exprimer ainsi, uniquement composé de citations de ses quatrièmes de couverture.
Une brève histoire du droit d’auteur, joli livre illustré, nous apprend sous une forme ramassée tout ce qu’il serait bon de savoir sur le droit d’auteur. Il s’ouvre sur l’indignation du poète latin Martial vis-à-vis d’un collègue indélicat, un « plagiaire » dit-il (plagiarius = voleur d’hommes), qui s’était approprié un de ses « enfants ». Las, à l’époque pas de recours. Il fallut attendre les Lumières pour que le droit « encadre » les questions de « vol » du travail d’autrui ; les premières législations furent américaines, au sortir de la guerre d’Indépendance, puis anglaises et enfin françaises. Mais la France, contrairement à ces deux pays, élabora en 1791 avec la loi Le Chapelier puis en 1793 une défense des créateurs en tant que personnes physiques et non un « copyright ». Différence dont le livre souligne l’importance.
Au fil du XIXe siècle s’élabore ensuite une jurisprudence du droit d’auteur qui suit l’évolution des modes de production et de diffusion des arts et qui concerne les particularités de chacun de leurs domaines. Elle s’efforce de clarifier du point de vue juridique les relations complexes des créateurs avec leurs commanditaires, leurs mécènes, leurs marchands ou avec les institutions publiques ou privées. Elle élabore des règles concernant les ayants droit. En 1834, un Balzac de trente-cinq ans, se retrouvant presque sans aucun droit face à ceux qui le publiaient, avait appelé ses confrères et consœurs à se défendre dans une « Lettre aux écrivains français » : « La loi protège la terre ; elle protège la maison du prolétaire qui a sué ; elle confisque l’ouvrage du poète qui a pensé ». Quelques années plus tard, lui-même et une cinquantaine d’écrivains dont Hugo, Sand, Gautier, Dumas créaient la Société des gens de lettres. Puis, en 1878, Hugo fut le fondateur et premier président de l’ALAI (Association littéraire et artistique internationale) qui œuvrait pour la reconnaissance internationale des droits d’auteur.
En France, une loi de 1957 ramasse en un texte et poursuit tout ce qui a été élaboré précédemment en conservant la distinction qui a pris forme entre droits moraux (protégeant les intérêts non économiques du créateur, et ne s’éteignant jamais) et droits patrimoniaux (lui permettant de percevoir une rémunération pour l’exploitation de ses œuvres qui s’éteint soixante-dix ans après sa mort). Vers la même époque, les créateurs se rassemblent de plus en plus en sociétés d’auteurs pour obtenir une meilleure protection. La principale, l’ADAGP, créée en 1953 et représentant les artistes-auteurs de plus de quarante disciplines, est d’ailleurs commanditaire du présent ouvrage.
Ce que ne mentionnent pas Jean-Baptiste Rendu et Richard Robert, c’est que les plus grands artistes décidèrent de gérer eux-mêmes leurs droits : ainsi, Matisse, Picasso et leurs héritiers ont toujours eu leurs propres sociétés de gestion, privant l’ADAGP d’une manne abondante. Mais ce qu’ils soulignent très bien, c’est la complexité grandissante qu’il y a aujourd’hui à déterminer et à percevoir ces droits. L’accroissement incessant des modes de reproduction des œuvres, et des supports de diffusion, puis tout l’environnement numérique et l’apparition de l’intelligence artificielle, sont venus poser de nouvelles questions au domaine juridique de la propriété intellectuelle.
Ainsi, les intelligences artificielles génératives produisent à partir d’une requête des « œuvres » (écrits, images…), mais qui est titulaire des droits ? L’utilisateur qui a formulé la requête ? le développeur du logiciel ? les actionnaires de la société dans laquelle a été créé le logiciel ? Un problème pressant s’est en effet récemment posé : des auteurs et artistes « réels » ont porté plainte pour « siphonnage » de leurs œuvres contre des plateformes du Net utilisant des logiciels d’IA. En effet, cette dernière ne crée pas à partir de rien, elle pioche ses matériaux dans de vastes bases de données, ouvrant la possibilité de poursuites pour violation des droits de propriété pour « utilisation de travaux soumis à des droits d’auteurs sans consentement, crédit ni compensation ». Plusieurs procédures collectives d’artistes et d’écrivains ont d’ailleurs été engagées aux États-Unis contre des entreprises du Net : début 2024, certaines ont été provisoirement ajournées par les tribunaux qui soulignaient « l’insuffisance de démonstration » de la violation du copyright mais encourageaient les requérants à reformuler et préciser leurs accusations. On attend donc la deuxième manche d’un combat qui intéresse tout le monde de l’art et de l’écriture.
Gérard Berréby, jeune, vivait lui à une époque où l’insouciance vis-à-vis du droit d’auteur n’était pas fondée sur le goût de la facilité et du profit mais, nous dit-il, sur une défense farouche de la liberté de lire. En l’occurrence, la liberté de lire le Traité du style qu’Aragon avait publié en 1928 et se refusait à republier (celui-là même qui se termine sur le célèbre « Je conchie l’armée française dans sa totalité ») : on était en 1978. C’est l’histoire de cette artisanale entreprise de piratage et de distribution que Berréby raconte dans Documents relatifs à l’édition pirate du Traité du style de Louis Aragon. La lecture en est réjouissante. Tout comme celle de l’opuscule J’ose m’exprimer ainsi que les éditions qu’il dirige aujourd’hui proposent et qui comble notre goût de non-originalité (ou d’originalité), puisqu’il est composé uniquement des phrases de quatrièmes de couverture de tous les livres de la collection mises bout à bout en une sorte de récit. On se demandera, au passage, qui conserve les droits d’auteur dans cet aimable collage. Chaque écrivain sur son fragment ? les éditions Allia ?
Moins réjouissant (car d’une tout autre intention) mais très instructif est le livre de François Gèze, ancien patron des éditions La Découverte. Plusieurs de ses textes précédemment publiés en revue sont ici réunis. Il y rappelle la double nature du livre (produit de l’esprit et objet marchand) et suit l’évolution du monde de l’édition et des pratiques de lecture depuis les années 1980, abordant pour finir les défis du numérique et les risques que représentent les récentes concentrations éditoriales. À ce qui a déjà été dit ailleurs par André Schiffrin (L’édition sans éditeur, La Fabrique, 1999), Janine et Greg Brémond (L’édition sous influence, Liris, 2002) ou par d’autres, François Gèze ajoute sa fine connaissance du milieu et sa pugnacité revigorante ; elles lui permettent de proposer des solutions aux problèmes du moment et d’affirmer, sourire en coin, que « le pire n’est jamais sûr ». Espérons-le.