« V’là l’joli vent »

Difficile de dire à quoi ressortit L’option légère, sous-titré « roman-poème », de Victor Pouchet, puisqu’il s’amuse avec l’épopée sentimentale, le roman courtois et d’aventures, la comédie de l’ordinaire… Il souhaite en tout cas, avec une grande conscience de la littérature mais aussi la légèreté que son titre revendique, parler de spleen, des petites choses de l’existence, d’amour et de poésie.

Victor Pouchet  | L’option légère . Gallimard, 212 p., 20 €

« C’est l’histoire d’un homme » (indication de première page) qui, le temps d’un été, « tente de survivre dans la Grande  Ville » (Paris ), « essaie avec des poèmes de ranger le monde ou bien de faire quelque chose comme une révolution », et l’histoire de ce qu’il advient de ces entreprises comme de quelques autres. L’homme nous les conte par le biais de poèmes, en général adressés à son amoureuse et composés au fil de journées actives ou léthargiques, enjouées ou maussades, pendant lesquelles il déménage, rejoint son amie en Corse, songe à ce qu’il aimerait faire, regarde la vie autour de lui, réfléchit… 

L’option légère se fait ainsi le compte rendu de petits événements et de méditations que la quatrième de couverture répartit plaisamment en : « 35 poèmes de la Grande Ville, 13 poèmes d’amour, 12 poèmes corses, 10 poèmes révolutionnaires, 8 poèmes à gros budget, 5 poèmes impatients, 4 poèmes de fête, 3 poèmes de nuit, 1 poème phosphorescent, météorite, feu d’artifice, et quelques autres encore ». 

Ces poèmes, en vers non rimés souvent octosyllabiques ou hexasyllabiques (renvoyant, par leur mètre, on suppose, aux genres qui ont aimé les utiliser), sont écrits dans une prose moderne, fluide, dépourvue des figures habituelles de la poésie. Ils sont donc « accessibles » même à un lecteur peu familier de celle-ci : leur division en seize sections (« Notre homme déménage », « Le matin, malgré la nuit mauvaise », « « Je n’arrive plus à rien » », « Il pleut depuis trois jours »…), et les annonces programmatiques en prose qui les entrecoupent, fournissent un guidage mi-sérieux mi-amusé sur le sort de « notre héros » au fil de ses réflexions, intentions et actions. 

Victor Pouchet, L’option légère
Soulever la terre © CC-BY-2.0/Philippe Put/Flickr

Le parcours de lecture est donc aisé. Mais l’« option légère », présentée par le poète narrateur comme une exigence de son amie à laquelle il se soumettrait, est loin de n’être qu’une aimable pose littéraire. Elle concerne des choses aussi sérieuses que son rapport à la femme de son cœur, à son existence, à son travail d’écriture et à la tradition. 

Sur ces deux derniers points, le protagoniste semble avoir mûrement réfléchi, même s’il décide avec un brin de désinvolture et d’angoisse de régler ses comptes avec des diktats littéraires d’autrefois (« le poème définitif » qui rendra tous les poèmes inutiles n’existe pas, déclare-t-il) ou avec des esthétiques contemporaines fourvoyées (« je ne comprends pas vos poèmes / pas vos romans pas vos spectacles /… ces machins si cryptés », s’attriste-t-il sur deux pages). Mais lui-même n’a pas pour autant renoncé dans ce domaine à un idéal exigeant. Ayant d’abord affirmé un désir poétique très intransigeant (« ranger le monde », « faire la révolution »), il le module et le précise au cours du remue-ménage existentiel qu’il relate dans ses poèmes. Et c’est finalement « sans le faire exprès », grâce à des déboires, des bonheurs, des lectures, entre des courses à Confortuma et des excursions, bousculé par des mouvements d’humeur, qu’il s’approche d’une solution moderne et personnelle centrée sur un quotidien modeste dans lequel il apparaît, poète à égalité avec son lecteur. 

Ce « roman-poème » est alors comme une fenêtre que nous ouvrons et dont l’air vient faire virevolter alentour papiers et objets trop longtemps empoussiérés par leur relégation. La citation de Fernando Pessoa placée en exergue nous prévenait : « Léger, léger, très léger, / un vent très léger passe / et s’en va, toujours très léger. » 

Il passe et s’en va dans L’option légère en ayant donné mouvement et couleur à la vie ordinaire qui est aussi hors de l’ordinaire, celle où existent Leroy Merlin et Georges Perros, celle des mots qui ne nous sauvent pas mais auxquels il faut toujours demander de le faire.