Polars historiques pour l’été

Réunir mystère, suspense et peinture du passé, tel est le but que se donne le polar historique, parfois au risque de trivialiser les uns et/ou les autres. Deux romans récemment parus, le premier, Les ombres de Bombay, d’un « vétéran», Abir Mukherjee, et le second, Noir d’encre, d’une nouvelle venue, Sara Vallefuoco, montrent qu’on peut, en évitant le simplisme, parvenir à de jolies réussites.

Retrouvez les articles sur le roman noir
Abir Mukherjee | Les ombres de Bombay. Trad. de l’anglais (Grande-Bretagne) par Emmanuelle et Philippe Aranson. Liana Levi, 384 p., 21 €
Sara Vallefuoco | Noir d’encre. Trad. de l’italien par Serge Quadruppani. Métailié, 272 p., 22,50 €

Abir Mukherjee, né à Londres, est depuis 2017 l’auteur d’une série à grand succès (mais dont chaque livre peut se lire séparément) sur l’Inde coloniale des années 1920. Son cinquième tome, Les ombres de Bombay, met une nouvelle fois en scène le capitaine anglais Sam Wyndham et son adjoint indien Surendranath Banerjee, membres de la police du Raj britannique. 

Le livre s’ouvre à Calcutta en 1923 : Gandhi est en prison, la population s’agite. Lord Colonel Traggart, supérieur des deux policiers, charge ceux-ci d’empêcher que le meurtre d’un théologien hindou ne dégénère en guerre de religion, bien qu’il ne soit habituellement pas opposé outre mesure à quelques tueries entre indigènes. 

Qui a fomenté cet assassinat ? Contrairement à ce que de fausses apparences laissent croire, pas un fanatique musulman désireux de semer le trouble. Afin de découvrir les raisons et les responsables du forfait, Wyndham et Banerjee, jouant contre la montre, vont, ensemble ou séparément, se faire estourbir, effectuer un voyage à Bombay, rencontrer de multiples personnages, se retrouver en danger de mort, tomber sous le charme de belles dames, tenter d’empêcher une bombe d’exploser… 

Comme à son habitude, Mukherjee mêle ici Histoire, fresque culturelle, évocation des rapports entre classes, ethnies, colonisateurs et colonisés… et y ajoute un récit de voyage. Quel plaisir d’être agréablement instruit et amusé, emporté dans les virevoltes d’une action ébouriffante ! Les ombres de Bombay propose assurément un joli tour de Raj qu’on peut poursuivre, si l’on n’a déjà lu Mukherjee, avec ses autres romans (L’attaque du Calcutta-Darjeeling, Avec la permission de Gandhi…).

Abir Mukherjee, Les ombres de Bombay,
Sara Vallefuoco, Noir d’encre
Ancienne station de train (Bombay, Inde) © CC-BY- 2.0/zaphad1/Flickr

Sara Vallefuoco, qui vient avec Noir d’encre d’écrire son premier roman, est, elle, italienne et née à Rome. Mais elle connaît la Sardaigne, cadre du livre, grâce à une grand-mère qui en venait et en parlait la langue. L’histoire qu’elle raconte, et dont elle dit dans une note finale qu’elle est « imaginaire mais vole sur les ailes de la réalité », se déroule à la fin du XIXe siècle, dans le sud de l’île où régnait un brigandage qui mettait en échec les autorités. Le vice-brigadier Robespierre (raccourci en Pierre) Ghenaudo, originaire du Piémont, et le brigadier Moretti, romain, fraichement casernés à Serra et dépêchés avec quelques autres collègues des quatre coins du royaume d’Italie pour aider à faire régner l’ordre, vont vite s’en apercevoir. Les crimes et délits se règlent en effet (ou pas) en dehors de toute police et justice officielles.

La surprise est donc grande lorsqu’une paysanne, veuve et pauvre, vient déclarer qu’un vol aurait été commis dans sa ferme. Les carabinieri se déplacent chez elle, mais c’est un cadavre qu’ils découvrent, celui d’un de leurs ex-collègues, également poète « a bolu » (au vol), c’est-à-dire barde ambulant critique de la vie locale. Ils arrêtent alors un jeune orphelin qui sert d’homme à tout faire à la veuve, mais savent qu’ils ne tiennent pas là le vrai coupable. 

Ensuite, bien sûr, les morts violentes s’enchaînent – jusque dans la cellule de la caserne ; des lettres anonymes circulent ; des rumeurs se propagent…L’omerta cependant règne. Paysans misérables, bandits, poètes « au vol », notables, fonctionnaires, commerçants… tous ont leurs raisons de ne rien dire. Ghenaudo aura donc besoin d’intuition pour résoudre le mystère des assassinats, mais il sera aidé par le brigadier Moretti, partisan, lui, d’une nouvelle méthode d’élucidation purement scientifique, celle des empreintes digitales. 

Tant l’évocation du monde sarde, faite avec une théâtralité à la fois retenue et frappante, que celle du monde des carabinieri aux individualités bien marquées, « accrochent » l’intérêt. Et comme s’élabore à l’intérieur de ces vives évocations culturelles et psychologiques une rocambolesque intrigue à l’ancienne, pleine de rebondissements, on est conquis : Che piacere !